Nadia Ait-Zai, juriste et directrice du Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme (CIDDEF) :
Par Mekioussa Chekir
Entretien :
– Pouvez-vous faire connaître l’apport du centre que vous dirigez à la cause des femmes et des enfants ?
-Le centre a été créé en 2002 parce qu’on en ressentait le besoin dans le moment féminin et comme l’opportunité s’est présenté pour le faire, je l’ai saisi pour répondre un peu au vœu et aux attentes des féminise des années 80, 90 qui avaient projeté la création d’un centre pareil pour qu’il devienne la mémoire du mouvement féministe mais aussi qu’il soit ouvert envers les associations et qu’il ne soit pas uniquement un centre de documentation dans le sens ou il dispose de plus de 5000 ouvrages au service du mouvement féminin, pour leur permettre d’étayer et d’asseoir leurs revendications. Nous ne vouons pas uniquement cela, mais nous vouons avoir un objectif lointain, celui d’abroger les lois discriminatoires à travers des plaidoyers, des ouvrages, des enquêtes et des études que nous menons. Nous avons fait une étude sur la participation des femmes en politique et nus avons envoyé un mémorandum au président de la république. Nous n’avons pas travaillé seul en tant CIDDEF, nous avons travaillé avec les militantes des partis politiques et le mouvement associatif, c’est beaucoup plus porteur, la preuve, le débat s’est instauré sur les mesures temporaires, sur la manière de les mettre en place, tel que prévu par la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination. Ce débat a pensé à la révision constitutionnelle, notamment de l’article 31 bis qui prévoit que l’Etat va tout faire pour que les femmes soient plus représentées dans le politique et ceci à travers une loi organique que nous attendons toujours pour voir ce que la volonté politique veut bien mettre en place. Voilé un peu une démarche à partir d’un thème, d’un plaidoyer pour arriver à un résultat. Il faut dire que pour la participation politique des femmes, cela ne pose de gros problèmes mais nous avons un certain nombre d’autres thèmes que nous développons, comme la violence à l »’égard de femmes pour lequel nous avons mis en place un système d’informations, une base de données alimentée par un réseau d’écoute, Balsame, que nous avons créé, ce qui a permis de donner lieu au premier rapport sur les violences à l’égard des femmes. Ce rapport servira de plaidoyer en direction de pouvoirs publics. Il s’agit du premier rapport du centre mais il y a eu d’autres rapports similaires effectués par les ministères concernés, ce qui fait que notre travail est complémentaire à ceux-ci, notamment en matière de statistiques fiables. C’est cela l’un des objectifs du centre, à savoir servir de passerelle entre le mouvement associatif féminin et les pouvoirs publics. Nous voulons démontrer que nous avons une crédibilité à travers le travail que nous effectuons. Nous avons aussi effectué un sondage national sur l’appréhension des Algériens en matière d’égalité entre les sexes et ce, avec l’appui d’un bureau d’études algérien. Les résultats du sondage ont démontré qu’il y a une régression de la mentalité algérienne par rapport à 2000 ou le même sondage a été effectué sur le même échantillon par le collectif Maghreb-Egalité.
-Qu’est-ce explique, selon vous, cette régression ?
– Ce qui explique cela, c’est que par exemple, par rapport au Hidjab, un chiffre important d’Algériens s’est exprimé en faveur du voile au moment ou certaines femmes qui le portent l’expliquent comme étant une manière de se protéger des hommes dans l’espace public. Elles pensent qu’en le portant, elles s’approprient plus de liberté. Reste à savoir si cela est réellement le cas ou pas sachant toute la connotation et la signification religieuse qu’il véhicule. C’est vous dire qu’aujourd’hui, c’est la société qui dicte ses règles de comportement et non plus le politique. Le politique se conforme au comportement des Algériens, lequel a été grandement façonné par les islamistes durant la dernière décennie. Et c’est là que nous nous rendons compte de l’islamisation de la société et dont le prix est payé en premier lieu par les femmes.
-Etes-vous de ceux qui considèrent que le Hidjab est forcément lié à la soumission et à la régression ?
– Oui et non, cela est discutable. Si la fille le porte pour accéder à certains droits garantis par la Constitution, comme aller à l’école, pourquoi pas ? Et cela pose le problème de l’absence des pouvoirs publics car avec ou sans hidjab la femme doit jouir de tous ses droits. Celles qui le portent par conviction et qui ne gênent pas le reste des Algériens, c’est à dire sans faire de prosélytisme car c’est une affaire personnelle, l’ont fait en toute liberté. Vous en avez aussi beaucoup qui le portent car c’est l’environnement qui le commande, si elles sont dans un quartier ou toutes les femmes sont voilées, elles finissent par se sentir mal à l’aise et le porter. Elles sont tirées vers le bas, je l’ai vécu tout récemment avec une cousine. L’a aussi, les pouvoirs publics sont interpellés dans l’application de la loi car c’est à eux de dicter un comportement. Est-ce qu’on veut une société moderne, égalitaire ou autre?
– Vous avez considéré les amendements de la Constitution concernant les femmes comme étant insuffisants mais qu’il fallait les prendre, autrement dit « c’est mieux que rien ». Qu’en est-il du code de la famille qui reste décrié malgré les amendements qu’il a connu ?
– Oui, effectivement, je pense qu’il fallait une source légale à l’acceptation des mesures temporaires, mais il est vrai que la Constitution algérienne (notamment l’article 31, favorisant la représentativité féminine en politique) aurait pu parler de la notion de quota, sachant que l’égalité est une notion virtuelle difficile à atteindre y compris chez les sociétés les plus évoluées, c’est pourquoi l’on parle de quota comme « mesure temporaire ». Quand on a parlé de représentativité politique des femmes, on voulait qu’il y ait plus de femmes en politique et c’est aux partis politiques d’être les garants de cette représentativité. Le fait que la Constitution aujourd’hui ait mis cet article (le 31 bis) , on considère que c’est un début pour la construction de cette égalité. On est plus dans le virtuel, on ne dit plus que tous les citoyens sont égaux devant la Constitution, mais l’Etat s’engage à faire en sorte que la femme soit plus représentée dans les instances élues. Reste à amender la loi organique sur les partis et la loi électorale pour que l’amendement constitutionnel ait réellement un sens. Pour le code de la famille, je peux dire que nous sommes en avance par rapport au Maroc qui vient de sortir d’un schéma traditionnel religieux. Ce que la loi marocaine a fait en 2004 en enlevant le statut personnel des mains des religieux, l’Algérie l’a fait au sortir de l’indépendance. Il est vrai qu’il existe encore des articles discriminatoires qui réduisent le rôle juridique de la femme même si le rôle du tuteur a changé. Néanmoins, les amendements introduits ont changé l’architecture de la famille, celle-ci n’est plus basée sur une hiérarchisation des sexes, la notion de chef de famille a disparu, les époux sont égaux dans l‘éducation des enfants, face aux responsabilités et devoirs. On nous donne une nouvelle notion égalitaire de la famille, mais celle-ci reste encore à construire.
-Ne pensez-vous pas qu’il y a aujourd’hui un essoufflement du mouvement féministe en Algérie, lequel a été plus présent durant la décennie précédente ?
– Je peux dire que le mouvement féminin n’existe plus tout comme je peux dire que les militantes féministes se sont redéployées sur le terrain chacune selon ses priorités. L’histoire du mouvement féminin en Algérie, c’est sa force de politisation dans le sens ou le plus gros potentiel ont été des militantes de partis politiques, lesquels ne mettaient pas en avant les droits des femmes mais les englobaient dans une idéologie globale, dans un choix de projet société. Il faut aussi tenir compte de la jeunesse du mouvement associatif d’une manière générale.
En tant que démocrate et féministe maghrébine, quelle est votre appréhension par rapport aux questions des droits des femmes dans la perspective de la Tunisie de demain?
Mon appréhension est qu’après l’euphorie de la révolution, du changement, du départ de Ben Ali et avec l’arrivée du fondamentalisme religieux, les femmes n’arrivent pas à maintenir leur acquis du à ce que l’on appelle « le féminisme étatique ». L’histoire de la Tunisie en matière des droits des femmes démontre que c’est grâce a Bourguiba que les droits des femmes ont été inscrits dans le code du statut personnel, grâce à Bourguiba qui avait un projet de société qu’il a d’ailleurs réalisé en inscrivant les droits des femmes au même titre que ceux des hommes. Le régime de Ben Ali a continué à attribuer des droits aux femmes, à améliorer le code du statut personnel, fond de garantie, nationalité aux enfants d’une mère tunisienne, criminalisation de la violence conjugale. Pourquoi doivent- elles être prudentes, eh bien, c’est parce que les partis islamistes ont été légalisés, c’est parce leur préoccupation est de revoir le code du statut personnel tunisien, particulièrement le parti Nahda qui a un double discours, l’un pour l’étranger, « le code du statut personnel ne sera pas révisé, l’autre pour l’auditoire tunisien, « les femmes tunisiennes ont trop de droits ». En fait que veulent changer les islamistes du code de la famille ? C’est rendre légale la polygamie, interdire l’adoption plénière, revoir les règles du divorce, et pourquoi pas réintroduire la tutelle matrimoniale. Ce sont là les points qui fâchent dans une société musulmane, points que les islamistes peuvent retoucher si les tunisiennes ne sont pas vigilantes. Elles doivent d’ailleurs s’impliquer davantage dans les nouveaux rouages de la révolution, elles ne doivent pas refuser les postes qu’on leur propose car c’est de cette manière que l’on s’exclut.
– Quelle en sera, à votre avis, l’impact de cet aspect sur les libertés féminines dans tout le Maghreb et pour les algériennes plus particulièrement ?
Il y aura certainement une accélération sur les libertés féminines au Maghreb et particulièrement en Algérie si les femmes s’impliquent davantage. Il ne faut pas s’attendre à ce que l’on nous donne il faut s’imposer en tant qu’individu et sujet de droit. Les libertés s’arrachent, elles ne se donnent pas. Quand l’opportunité se présente Il faut occuper les postes de décision pour changer les rapports de force. Quand l’engagement est clair Il faut s’investir dans le politique également, (élection locale et nationale).