La Tunisie sera sauvée par ses femmes !
Un dossier réalisé en Tunisie, par Fériel Berraies Guigny
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Photos DR UFFP
Le printemps arabe signifiera il à terme l’éclosion d’un monde meilleur, pas seulement pour le monde arabe mais pour l ‘humanité entière ? Où amènera t il le pire ? Qu’en sera t- il des femmes qui ont été au premier front de ces mutations historiques dans la région ?
La femme tunisienne, en tant que mère, fille et sœur a beaucoup influé sur sa communauté, valorisée qu’elle était depuis l’ère Bourguiba. Mais la place de la femme et son rôle dans l’évolution de la société tunisienne est, depuis les élections post révolution, en danger face à l’obscurantisme religieux redynamisé par les dollars du Golfe. Avec l’exécution de Chokri Belaid, et le lynchage de Lotfi Naked à Tataouine, il y a une réalité face à laquelle une nécessaire résistance du peuple doit s’organiser. Car le pire serait à venir si la société civile de guerre lasse, se laissait faire et qu’elle courbe l’échine face à l’impunité qui prévaut. Car l’espoir s’est transformé en terreur subie par des bras armés qui n’hésitent pas à intimider ceux qui croient à la démocratie libérale.
Alors même que la Tunisie vit ses heures les plus sombres depuis l’après révolution, que le pire s’installe insidieusement dans le paysage politique, que le pays est à genoux économiquement, que les indignés du pays du jasmin après s’être fait voler leur révolution n’ont pas trouvé réponse à leurs demandes légitimes, des femmes s’élèvent contre une nouvelle dictature théologique théocratique, conduisant à une situation de non droit et de chaos. Une révolution dévoyée, des espoirs déçus, un sentiment d’avoir été dépossédé de son histoire, tout ceci n’a pas fait courber l’échine des filles d’Elyssa, qui chacune à leur manière et face à l’adversité, n’hésitent pas à braver les interdits pour faire entendre leur voix et tenter de préserver leurs droits. Elles sont politiciennes, chefs d’entreprises, juristes, militantes associatives, universitaires, journalistes, artistes et elles se battent au quotidien pour leurs droits. Les femmes tunisiennes sont en alerte maximum, et sur tous les fronts, face aux barricades morales et la terreur, face à l’intimidation et au manque de moyens, elles continuent leur quête de liberté, plus résilientes que jamais. UFFP en mission en Tunisie, est allée à la rencontre de ces femmes pour vous révéler leur histoire. Focus sur ces femmes remarquables qui tentent de réorienter l’histoire de leur pays.
Lilia El Golli « la femme est la cible de ce Monde » !
Elle a bourlingué sac à dos et appareil photo dans sa poche, promené son regard dans cette belle Tunisie méconnue, trouvé à chaque recoin d’un paysage cet essentiel qu’elle a perdu dans les grandes métropoles d’Europe. Cette tunisienne qui a passé une boone partie de sa vie à Paris, retourne aux sources et se régénère de ses clichés précieux qui lui font découvrir une beauté absolue. Celle d’un pays qui traverse un moment douloureux de son histoire mais qui n’en reste pas moins riche et authentique. Lilia el Golli de son nom d’artiste Liloone, nous fait redécouvrir cette Tunisie originelle et son regard se perd alors sur ses méandres absolus où toutes les vérités ne sont plus cachées. Elle est venue à la rencontre d’UFFP partager ses moments précieux logés au creux de son histoire. Récit d’un joli moment d’amitié où nous avons également devisé de la femme et de son combat au quotidien.
Photos DR LILOONE. Lilia El Golli. All rights reserved
Lilia El Golli artiste photographe. photo crédit LILOONE
Entretien avec UFFP
De Paris à Tunis et de Tunis à Paris ? Je suis née à Tunis et la logique d’un chemin de vie a fait que je suis revenue à mes racines. Pour deux raisons : c’est quand ça va mal qu’il faut s’investir et la seconde raison vient du fait que je me sens intérieurement mieux ici à Tunis. Quand bien même c’est compliqué actuellement, que c’est une période de transition qui n’est pas facile à vivre. J’ai un épanouissement artistique qui s’exprime dix fois plus qu’à Paris.
La Tunisie vous inspire ? Oui ce pays est absolument magnifique et inconnu ! Par ses habitants et ceux qui vivent à l’extérieur de la Tunisie. On ne fait l’éloge que des hôtels sur les Côtes que je ne trouve pas forcément esthétiques, alors qu’il y a des recoins cachés, tout l’intérieur du pays qui est somptueux. Une méconnaissance totale du patrimoine archéologique, de la flore et de la faune locale, c’est un pays très riche et méconnu.
Vous le découvrez sous un autre regard ? Oui j’apprends à le découvrir et à le connaitre sous un autre regard que celui de la gamine qui a bourlingué.
Qu’est-ce qui vous marque et vous fait vibrer ? La dichotomie entre l’anarchie ambiante et la réelle gentillesse des gens. L’image que l’on a, ou qui est donnée de la Tunisie et des Tunisiens quand ils sont pris en masse, cela n’a rien à voir avec la réalité des gens que l’on approche individuellement. On voit une vraie profondeur d’âme, une vraie simplicité de vie et de penser. Une authenticité qui me touche énormément.
Un avant et un après regard photographique ? Oui très sincèrement, avant je photographiais beaucoup en masse et aujourd’hui de par cette approche des délaissés de la société et de la révolution, je suis de plus en plus intéressée par une approche one to one. Pour aller au plus proche de l’autre. Oui je recherche l’âme de la personne à chaque fois.
Les Femmes et leur labeur au quotidien un thème qui revient, quelle vérité ? Une seule et même approche m’anime toujours, l’approche avec Gaia la mère nature et la nature mère. Il y a une réelle vérité dans tout cela, on est tous des enfants de cette terre et si l’on rapproche l’idée que la terre est féconde qu’on est en train de tout détruire et souiller ; mais quoi que l’on fasse on y revient toujours à cette terre.
Il faut revenir à des valeurs authentiques ? Oui absolument, revenir à la base, accepter le travail manuel et ne pas en avoir honte, mère nature nous le démontre tous les jours. La mère nature pour moi est une semi vérité on l’a vu dernièrement avec le débat sur le mariage pour tous en France « on a aussi cette notion comme quoi la femme doit forcément avoir une fibre maternelle, ce que je ne pense pas être réel » ! on oblige les femmes à être des mères.
Est-ce à dire que la notion de femme est en mutation ? Oui cela est complétement en train de changer, pour moi j’ai cette phrase horrible qui m’arrive en tête « la femme est la nègre de ce Monde » ! Ce n’est pas politiquement correct de le dire, mais on a l’impression que la femme, car elle serait la « personne faible », serait « l’esclave » de ce monde. Encore une fois ce n’est pas politiquement correct ce que je dis et il ne faut pas le sortir du contexte, mais c’est important de le souligner et tout ceci pour dire que l’on est encore et toujours la cible !
Cela se prouve et se tient actuellement, la femme instrument et cible ? Oui cela se voit dans cette guerre de religion en Tunisie, deux visions de la femme en Islam qui s’affrontent, dans le travail, et on reste une catégorie vulnérable.
Aujourd’hui une porte est ouverte pour un retour en arrière ? Oui il y a de grands risques, il ne faut pas se voiler la face. La femme pour moi, c’est la personne qui travaille pour la famille, pour son mari et qui est dévouée.
Des moments photographiques intenses ? Parmi les moments qui m’ont marquée le plus, celui que je retiens en premier c’est la manifestation des jeunes de Siliana sur l’avenue Habib Bourguiba. Des jeunes et des ados et post adolescents, ils étaient assez encadrés, ils voulaient vraiment pacifiquement manifester sur l’Avenue. Et devant le Ministère de l’Intérieur, tous ces gamins avaient mis un pansement sur l’œil
Et la façon dont ils scandaient les slogans, j’ai été réellement touchée, alors que je prenais les photos, ils demandaient justice pour ceux qui ont perdu la vue lors des manifestations où des jeunes auraient perdu la vue car on leur avait tiré dessus avec des balles de chevrotines. Ces jeunes ne voulaient rien d’autre que de la justice !
Et le deuxième moment le plus fort, fut l’enterrement de Chokri Belaid. Un moment magnifique ne serait-ce que l’arrivée de toute cette masse, on convergeait tous vers un point central. En termes d’images et de symboles, se dire que cela faisait longtemps que je n’avais pas vu ce nombre de personnes et cette cohésion qui se regroupait à un centre. C’était triste, mais il y avait une force dans cette cohésion. Il y avait une tendresse entre les gens, une vraie empathie et il y avait de toutes les classes sociales. De tous les comportements, d’habillement, de tous âges, on oubliait s’ils étaient musulmans, laïcs, de gauche ou de droite, riche ou pauvre. On venait enterrer quelqu’un qui aimait la Tunisie. On sentait vraiment cet amour pour le pays.
Et le débat sur les femmes qui sont allées au cimetière alors que ce n’est pas dans les coutumes ? Moi j’ai coupé court à ce débat. Depuis quand je demande la permission d’être libre ? Moi je dis NON !
Tout le monde se réconciliait dans sa Tunisianité ? Oui ce jour là en fut un, le pardon, la réconciliation, la fierté et le patriotisme, le partage. Oui il s’agissait bien de cela. On était tous tunisiens et point.
Trouver le beau dans cette Tunisie qui a mal au féminin ? Excellente question le beau est partout autour de nous, tout dépend de la lecture qu’on a des choses. C’est marrant que tu me poses la question Fériel, car je sors un album prochainement et il a un double nom en français et en anglais mais ce n’est pas une traduction. En anglais ça donne « Sky is not the limit its the view » et en français ça donne « dieu existe je l’ai rencontré ». Cela signifie simplement qu’il y a des moments dans la vie où tout va mal, on a tous des moments difficiles et c’est aussi notre responsabilité de se dire « pouce deux secondes, respires et regardes autour de toi » … il y a toujours des signes, des raies de lumière, arrêter tout et respirer un bon coup.
Le calme je le trouverai qu’en moi à l’intérieur pour pouvoir réellement le saisir à l’extérieur.
Comment voyez-vous les femmes de l’après révolution ? La réponse est multiple. Elles sont plus que jamais déterminées à rester « l’exemple » qui est unique au monde, dans le monde arabo-musulman notamment. Il y a des femmes qui se battent pour survivre, des femmes qui se battent pour vivre et des femmes qui se battent tout simplement. C’est une chance d’avoir à se battre, c’est horrible de le dire encore une fois, mais ça nous oblige à nous imposer et à dire qu’on est là. Encore plus là. C’est le chemin que l’on emprunte qui compte pas la destination finale.
Le peuple est las toutefois ? Oui cela se ressent partout et aujourd’hui il est certain qu’il est encore plus dur, quand on est démuni, de vivre cette conjoncture. Cette anarchie complète sans visibilité dans le futur, fait qu’il est difficile de se projeter en tant que mère de famille ou père de famille. La trahison est ressentie par le citoyen tunisien dans tout son ensemble.
L’Occident n’a toujours pas la bonne lecture ? Oui quand on voit les manchettes de journaux sur la Tunisie on réalise encore une fois que la lecture est faussée et du reste avec un seul œil on ne voit que d’une seule manière. On a acquis la liberté d’expression, la parole est libérée et il ne faut jamais l’oublier quoiqu’il en soit. C’est une arrête en travers de la gorge contre toute personne qui se permettra de vouloir récupérer une dictature pour en faire une autre ! ils ont oublié vite que nous avons encore et toujours la possibilité de dire NON !
Ce qui est important à mes yeux, c’est d’arrêter de réagir et de palabrer dix ans juste dire NON !
La cohabitation ? Oui j’y crois mais pas avec certaines personnes. Je ne veux pas faire d’amalgames entre une certaine machine et une machination que l’on tente de mettre en place et un certain ensemble de la population qui se dit musulman et qui tente d’avoir une approche pieuse et qui ont l’amour de la Tunisie.
Les Artistes sont inquiétés ? Je ne suis pas fataliste, mais on ne peut être que solidaire avec ceux qui l’ont été : Mohamed ben Soltane artiste peintre qui a fait une femme avec un couscoussier au niveau du sexe et des gants. C’est très symbolique mais il le faisait avant, cela fait vingt ans qu’il fait cela, cela ne date pas d’aujourd’hui. Ya fatten Geddas, qui a fait un putching ball et sur ces putching ball elle s’est photographiée portant un voile et a fait des yeux blancs. C’est tout un jeu sur l’aveuglement de la violence morale. C’est ma lecture personnelle dans l’installation de Faten. Elle a été inquiétée. Pour revenir à tout ceci, on accuse ces artistes de porter atteinte au sacré. Mais ce qu’il faut savoir à leur décharge, c’est que les accusations étaient portées sur des œuvres qui n’étaient pas présentes à la biennale et en second lieu, c’était je pense une occasion de pouvoir faire une démonstration de force. On est en plein adolescence ! On met la main sur la tête des gens.
Encore une fois, on ne donne pas la liberté de créer mais on la prend ?! Oui absolument, on dit NON si on n’est pas d’accord et je ne vais pas discuter plus que cela. C’est ma décision et ma liberté de m’exprimer ou de me censurer d’une manière ou d’une autre. Et rien ni personne d’autre que ma propre conscience ne me dicte ma conduite et j’encourage tous les artistes à ne jamais sombrer dans ces dérives !
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