L’association « A.I.L.E.S » (Aides, Info, Liberté, Espoir et Solidarité) est une des gagnantes du Prix Women for Change 2013. Un magnifique hommage à une femme Brigitte Michel et son combat, l’association A.I.L.E.S qui développe des activités permettant aux femmes anciennement toxicomanes, mises au ban de la société après leur sevrage, de consolider et d’acquérir des capacités professionnelles en les aidant à créer une micro entreprise au sein de leur habitat. Un défi au quotidien pour Brigitte Michel qui a confié à UFFP les difficultés d’un travail dans un contexte de mépris et d’impunité totale quand il s’agit de stigmatiser les consommateurs de drogues, qui au fond ont plus besoin d’assistance que de répression.
Un long chemin de croix, car à Maurice la drogue et le VIH sont une terrible fatalité et les femmes grossissent de plus en plus les rangs. Les moyens très limités qui plus est.
Entretien avec UFFP :
Parlez nous de votre Action, historique et objectifs – Quand cela a commencé? votre cible?
L’association A.I.L.E.S (Aides, Info, Liberté Espoir et Solidarité) est une jeune association mauricienne crée en 2009 à Mangalkhan à Floreal par Brigitte Michel. Elle a pour objectif de supporter, d’accompagner et d’informer les Personnes Utilisant des Drogues , les Personnes vivant avec le VIH (PVVIH), ainsi que leurs familles. Notre approche se base sur la réduction des risques qui est principalement de minimiser les risques d’infection du VIH parmi les Usagers de Drogues.
AILES est contre la criminalisation des Usagers de drogues, la discrimination abusive et les lois qui les punissent au lieu de les aider a se réhabiliter et à stopper l’usage des drogues, font le contraire.
Le contexte de création de l’association
La création de notre association est partie du constat alarmant de la situation des jeunes Consommateurs de drogues habitant Mangalkhan sur le plateau central à Maurice et du désarroi dans lequel se retrouvaient les familles touchées par ce fléau. En effet, depuis 2009, plus de 75 Utilisateurs de drogues âgés entre 18 à 45 ans sont déjà décédés suite aux complications liées à l’injection de drogues et aux infections dues au SIDA et l’hépatite C. Aujourd’hui, plus que jamais nous sommes confrontés à l’augmentation du nombre de jeunes usagers à Mangalkhan filles et garçons confondus et a la détresse des enfants et des parents.
Actuellement Maurice compte plus de 6000 Personnes Vivant avec le VIH incluant un nombre croissant de jeunes femmes.
Vos défis,vos avancées ?
Le nombre de jeunes femmes qui se droguent actuellement augmente de jour en jour. La criminalisation des consommateurs de drogues est une injustice. La consommation des drogues est un problème de santé public. Au lieu d’être soignées, ils/elles sont mis en prison et subissent la répression de la police.
La distribution de la méthadone est faite d’une façon sauvage et il n’y a pas de suivi psychosocial, pas de travail pour les usagers de la Méthadone.
Les droits humains des personnes sous méthadone et les personnes qui consomment de la drogue sont régulièrement bafoués dans les centres de soins et dans les prisons
Les overdoses chez les jeunes consommateurs de drogues sont alarmantes et rien n’est fait actuellement, pour limiter ces overdoses et sauver des vies.
Quelles ont été vos Avancées ?
- Plus de 750 femmes et hommes accompagnées sur le programme de substitution de la méthadone
- 200 sessions de sensibilisations avec les jeunes et les adultes dans les endroits a risques
- Prise de position dans les cas de discriminations (médias/radios/Ministères de la santé et de la justice)
- Intervention pour les droits humains
- Plaidoyer pour une meilleure prise en charge des usagers de drogues et des PVVIH
- Participation de la campagne de Support Don’t punish 2013 et d’autres événements qui sensibilisent contre la drogue et le VIH à Maurice
- Membre du Comité National des réductions des risques à Maurice (Prime Ministers Office)
- 3eme Prix au Gender links Award (Autonomisation des femmes vulnérables )
Quelles sont les difficultés au quotidien ?
Actuellement les Ex Usagers utilisant le programme de substitution de la Méthadone font face à beaucoup de stigmatisation, de discrimination et sont parfois dénis de leurs droits humains. Ils sont régulièrement harcelés par la Police Mauricienne. Beaucoup sont brutalisés par la Police sans que personne en soit inquiété. De janvier à la première quinzaine du mois d’avril, 233 plaintes ont été logées contre des policiers. Plusieurs de ces cas de brutalité alléguée ont été rapportés dans la presse, comme pour rappeler que le système ne change pas. Alors que la National Human Rights Commission ne fonctionne plus, rien ne semble être fait pour éradiquer ce mal. Une situation entretenue par l’impunité, les dysfonctionnements du système et le silence. L’absence d’une culture des droits humains à Maurice y contribuerait également.
Les choses ne changent pas. Pour une raison ou une autre, il y a toujours des policiers qui sont persuadés que l’uniforme leur accorde tous les droits. N’importe qui peut faire les frais de ce système qui est pourtant régulièrement dénoncé. En ce moment, les autorités policières et politiques n’y accordent aucune attention, laissant faire les choses jusqu’au prochain drame. La question mérite d’être traitée en profondeur afin que soient trouvées de vraies solutions.
Le programme de la Méthadone a été mis sur pied en 2008 afin de contrôler les infections du VIH chez les Consommateurs de drogues principalement et aussi afin de minimiser l’impact du VIH sur la population générale
Il y a aussi les dysfonctionnements concernant le programme de distribution de la Méthadone et le suivi psychosocial afin de réinsérer ces clients dans la société et de les aider à retrouver du travail et la dignité qu’ils ont perdu pendant qu’ils étaient sous l’emprise de la drogue.
Il y a actuellement une féminisation du VIH à Maurice ?
Grace au programme d’Echange de seringues et du programme de la Méthadone Maurice a pu réduire le nombre de nouvelles infections du VIH mais le nombre de femmes infectées augmente de jour en jour. Actuellement il y a 1700 femmes infectées par le VIH et 4300 hommes vivant avec le VIH à Maurice.
Enfin je voudras parler des fonds qu’on reçoit des entreprises qui ne nous permettent pas vraiment d’avancer dans le combat – Nous sommes toujours 3 staff et 5 volontaires qui nous aident mais il y a le burn out et nous sommes des êtres humains avant tout et nous n’arrivons pas toujoursà faire ce qu’il faut faire. La demande dépasse l’offre.
Nous n’avons pas de véhicule dédié à l’accompagnement des consommateurs de drogues et des personnes vivant avec le VIH dans les centres de soins et pour d’autres démarches sociales.
On ne peut toujours pas se permettre d’avoir internet car cela a un coût qui pour nous est important mais pas prioritaire.
Nous travaillons dans un espace restreint et nos activités ne peuvent s’étendre à tous les clients qui viennent.
La lutte contre le sida est devenue une chasse gardée pour certaines ONGs et les fonds n’arrivent pas forcement à tous les ONGS travaillant dans ce domaine.
La perception de votre travail au sein de la communauté?
Au début c’était difficile de faire accepter le projet – Les gens avaient peur et nous mettaient les bâtons dans les roues et on avançait à petits pas – Apres on a fait des campagnes d’informations, on s’est battus sur tous les fronts et les gens ont vu que les choses ont commencé à changer, qu’il y avait moins de drogues – Ils ont vu les résultats et ils ont compris Il y a un réel sentiment de solidarité et de compréhension qui est un plus pour nos activités.
En 2013, la communauté est maintenant partie prenante du projet et l’a pleinement accepté.
Quel appel voudriez-vous lancer à l’international?
Je pense que les organismes internationaux peuvent avoir un regard neutre sur les projets en place. Ils peuvent nous aider à améliorer les choses concernant les droits humains à Maurice et aussi nous permettre d’avoir des formations afin de mieux gérer l’association. Nous avons besoin de Renforcement des capacités parce que l’état bien qu’il nous consulte parfois ne nous soutient pas forcement Nous lançons un appel aux bailleurs internationaux travaillant dans la lutte contre la drogue et le VIH afin de nous soutenir dans la lutte que nous menons en tant qu’acteurs communautaires. Les organismes des droits de l’homme devraient aussi pouvoir se pencher sur ce qui se passe à Maurice et aider à mettre des choses en place afin que la violence policière a Maurice s’arrête. La culture des droits humains doit être vulgarisée afin que chaque citoyen puisse connaître ses droits. Ce sont surtout ceux qui les ignorent qui sont les plus terrorisés et succombent sous la pression exercée par certains officiers de police.
Tout n’est pas noir, beaucoup de choses ont été faites afin d’améliorer la prise en charge des Personnes Vivant avec le VIH et les Personnes consommant la drogue. La Méthadone a changé la vie de milliers d’Utilisateurs de Drogues a Maurice (plus de 6,000 personnes)
Par contre Il y a encore beaucoup à faire en terme de droits humains des Personnes qui consomment de la drogue et les Personnes qui vivent avec le VIH. Et sans les pressions des organismes internationaux, nous ne pourrons pas avancer.
Quel est votre regard du statut des femmes dans votre pays et région,
Positif : Le nombre de femmes en politique ont augmenté pendant les dernières élections en 2013 – Toutefois la femme en politique est toujours considérée comme ne pouvant accéder a certaines postes et limitée a être Ministre de Egalité des Genres ou Ministre de la Sécurité Sociale.
Il y a encore des efforts à faire toutefois pour inscrire l’équité et Egalité du genre dans les constitutions et s’assurer qu’elles ne soient pas compromises. Il faut aussi s’assurer que 50% de tous postes de décisions dans les secteurs publics ou privés soient occupés par les femmes même à travers des mesures de discrimination positive.
Il faut aussi rappeler que Maurice est un pays multiculturel/religieux et s’assurer que l’expression de la foi religieuse ne saurait permettre ou justifier les discriminations à l’égard des femmes.
D »Après les nombreuses études faites à Maurice, les filles travaillent mieux à l’école et ont de meilleurs résultats que les garçons. Pourtant ce sont les hommes qui ont les meilleurs places dans la société et dans le monde du travail.
La violence envers les femmes est toujours présente malgré les lois mises en place – Les hommes croient toujours que la femme leur appartient et veut les contrôler. Aujourd’hui avec l’éducation des filles, et les lois, les droits de la femme sont moins bafoués. Toutefois certaines lois devraient être amendées ou abrogées afin de limiter la discrimination contre la femme.
Comment faire pour leur donner le pouvoir?
L’éducation est la meilleure façon de donner le pouvoir, plus on a la maîtrise et on plus on peut se faire respecter et se protéger contre les dangers de la société. La meilleure façon de donner le pouvoir aux femmes qui ont arrêté la drogue, c’est de leur donner des aptitudes professionnelles qui leur permettront de se remettre debout et de devenir indépendantes.
Le printemps arabe et la crise au Sahel a amené le pire pour les femmes et les enfants, quel est votre vision?
Il y a un risque rel de voir se constituer un sanctuaire terroriste dans la région, si rien n’est fait pour l’empêcher. Je suis favorable depuis le début à une intervention militaire. Je pense que l’option d’intervention se trouve amplement justifiée par le rapprochement entre les organisations terroristes du Pakistan et d’Afghanistan avec les groupes armés d’Afrique du Nord. L’insécurité dans le Sahel pourrait dans ce cas présenter des menaces sérieuses pour l’Europe.
Pour le printemps Arabe je pense que la liberté d’expression semble en effet plus que jamais mise à mal. Je pense que l’injustice dont font face les personnes qui luttent pour les petites gens devrait être prise en considération et que les organismes internationaux doivent prendre position pour contrer cela.
L’Humanisme et la solidarité sont souvent absents que faire pour raviver ce mieux vivre ensemble?
Etre humain et solidaire c’est le quotidien de notre mission – Aussi notre travail consisteà toujours travailler avec eux et jamais sans eux. Les personnes qui suivent le programme de la Méthadone, les Utilisateurs de drogues et les Personnes Vivant avec le VIH sont systématiquement discriminées, marginalisés de part et d’autres – Sans la solidarité, l’empathie et l’humanisme des ONG travaillant dans ce domaine ces personnes seraient sans espoir aujourd’hui – Grâce à ces ONG les personnes les plus vulnérables se sentent un peu plus soutenues et peuvent espérer une vie nouvelle et une prise en charge appropriée.
votre experience à Women for Change, votre réussite?
Je pense que nous avons toutes été gagnantes à ce concours. Toutes ces femmes sont des femmes simples mais exceptionnelles. A travers ces femmes, j’ai été valorisée et ai appris des leçons de vie tout au long du séjour. L’humilité de ces femmes, leur détermination à vouloir persévérer, à se battre est unique. Jamais une expérience n’a été aussi forte et remplie d’émotion – L’esprit de compétition n’y était pas . Les femmes sont l’avenir de demain et nous croyons que les femmes sont les meilleures ambassadrices des personnes vulnérables et qu’elles peuvent changer le monde. Le Women For Change l’a prouvé. Ma réussite, je la dois à ces personnes vulnérables qui me font confiance et qui croient dans les projets que nous mettons en place, des projets qui demandent du courage et de la détermination et qui donnent des résultats.