« La Saison des Mangues » Une quête où trois vies de femmes se croisent, trois destins, alors que les métissages s’emmêlent. Un récit de femme, une introspection de femme, portée par une plume talentueuse, qui nous offre un véritable voyage introspectif. Paru aux éditions Héloïse d’Ormesson, un magnifique récit, un deuxième roman de Cécile Hughenin, l’histoire de trois femmes et de trois destins. La rencontre et les questionnement sur un soi et en devenir en constante mutation.
portrait : copyright David Ignaszewski / Koboy
Entretien avec l’auteur Cécile Hughenin
Du récit sur l’Alzheimer à ce roman, quel lien ? Aucun ?
D’Alzheimer, mon amour, « roman où tout est vrai » à La Saison des mangues, fiction de destins croisés, circule un fil rouge qui les relie. Celui sur lequel j’avance en équilibre avec pour balancier l’amour des mots et le goût de partager des histoires. Et, dans l’un comme dans l’autre, offrir au lecteur un espace où nicher ses interrogations, son réel ou son imaginaire.
Trois histoires de femmes dans le temps ? Trois générations de femmes indiennes ?
Cette saga familiale se déroule sur trois générations de femmes qui, au gré des croisements géographiques et amoureux, se sentent de moins en moins indiennes. D’une génération à l’autre, leurs positions évoluent. Soumission pour l’aînée, acceptation consentie, puis rébellion pour la troisième qui affirme ses choix même si elle doit s’y perdre.
Trois femmes dont le destin est décidé, dessiné et raconté par des hommes. Dans cette histoire les hommes ne sont pas des personnages secondaires. Les lâchetés du père indien, les frustrations du major anglais, l’amour et les délires de François, le regard naïf et fasciné de Laurent vont modeler leurs parcours.
Aucune linéarité dans votre récit, est-ce voulu ? Introspection, retour aux racines, à l’identité et aux conditions de la femme d’hier et d’aujourd’hui ?
J’aime saisir les émotions dans leur instantanéité. L’irruption d’un souvenir, les associations d’idées et de sensations qui l’accompagnent se jouent de la chronologie.
Un geste quotidien et banal va entraîner dans son sillage le questionnement introspectif sur les racines, l’identité, la place des choix personnels et de l’empreinte culturelle. Il peut survenir à n’importe quel moment de la vie. Femmes d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs ? C’est toujours le même. La manière de l’aborder et d’y répondre n’en a pas fini d’évoluer.
C’est aussi l’Orient et l’Occident qui se confrontent ?
Orient et Occident, autochtones et immigrants, ceux qui ont raison et ceux qui l’ont perdue, soi et l’autre… Dans la complexité intime de l’héritage familial et culturel, des choix et des refus, des curiosités et des peurs, des attirances et des répulsions, la confrontation n’est-elle pas le chemin inévitable de l’humanité ?
La femme indienne est encore aujourd’hui victime des castes, des coutumes, du tabou, est-ce la revendication d’un certain féminisme ?
Les femmes indiennes n’en ont pas encore fini de lutter pour exister autrement que par le poids d’or de leurs bijoux de mariage ! Mais castes et tabous ne sont pas l’apanage de la seule société indienne.
Une forte sensibilisation à la cause des femmes a certes toujours été présente dans les engagements humanitaires que j’ai pu assumer. Le propos de La Saison des mangues n’est pas un manifeste mais un regard sur la capacité des femmes à chercher le sens de leur vie.
Mais le métissage des cultures reste roi ?
La fleuriste de mon quartier est cambodgienne, arrivée à dix sept ans sans connaître un mot de français. Ses clients fréquentent sa boutique autant pour ses fleurs que pour le plaisir de parler avec elle. Mais elle s’interrompt à l’heure de ses rituels, ferme le jour de ses fêtes sacrées. Quand elle dit « je me suis adaptée mais je conserve en moi mes racines » elle est à sa manière la cueilleuse de rêves ou l’épicier indien de La Saison des mangues.
Le métissage culturel est source d’une infinie richesse ou des pires drames. Il se construit en parcourant cette « route du soi » pour laquelle il n’existe aucun guide de voyage.
Quelle leçon tirer de ces trois femmes ? Comprendre la femme, c’est comprendre le monde, et la libérer également ?
Si cette histoire contient leçon ou message, je préfère laisser mes lecteurs en décider à leur gré.
Pour ma part, j’aimerais simplement donner le mot de la fin à Laurent, le jeune étudiant parti en Afrique à la recherche de lui-même :
Si ces deux femmes que tout séparait, la naissance, la culture, l’éducation, l’argent et même la souffrance, ont pu tisser ce lien en se jouant des tabous et des préjugés, alors c’est que tout est possible. Tout est à inventer.
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