Par Fériel Berraies Guigny
Mario Giro » la force tranquille d’un homme de paix »
photo Diane Cazelles. Fériel Berraies Guigny et Mario Giro lauréat 2010 Prix Fondation Chirac
Subtilité de la force tranquille basée sur l’écoute, la patience, le respect et l’amitié, voici le secret de cette Communauté pour la paix. Mario Giro chargé des relations internationales de la Communauté Sant’Egido est un négociateur qui réussit à désencombrer des négociations sans espoir, à réduire des inimitiés et à ramener le dialogue entre ceux qui avaient juré de s’ignorer.
Son courage n’a d’égal que son empathie et sa discrétion, savoir affronter les dangers la tête froide mais aussi pouvoir s’effacer pour laisser les gouvernants et les institutions internationales reprendre leurs cours.
Un travail au service de l’autre dans le plus grand désintérêt total, vingt ans au service de la paix et des hommes, notamment en Afrique. En 94 il participe à l’organisation de la rencontre sur l’Algérie et est coauteur d’un livre sur ce sujet ( Algeria in Ostaggio – Impagliazzo, M., et M. Giro, Milano, 1997)
En 1996, Mario Giro participe à Rome aux rencontres préliminaires pour la résolution de la crise au Burundi. Au Kosovo, il participe à la mise en œuvre de l’Accord du 1er septembre 1996 entre le président serbe Milosevic et le kosovar Jugovar permettant l’accès des albanais kosovars aux écoles en 1997-98
Au Libéria Mario Giro organise et participe aux réunions Sant’Egidio avec les rebelles du Libéria ( LURD) son intervention mène en 2004 à la signature d’un pacte d’engagement qui permet après 14 ans de guerre, la préparation d’élections libres. Il participe à diverses tentatives de négociation pour la résolution de la crise au Darfour, Mario Giro organise à Rome une visite des chefs rebelles et une rencontre en mai 2005 à laquelle participent tous les mouvements du Darfour.
En 2006, Mario Giro participe à des missions dans la forêt du Sud Soudan et en République Démocratique du Congo où, avec les autorités du Sud Soudan il rencontre Kony et les autres chefs rebelles.
Plus récemment, au Niger après la crise, une transition démocratique est en cours ; la Communauté Sant’Egidio vient de réunir à Rome les forces vives et politiques et sociales du pays qui acceptent de lancer un appel à une transition démocratique qui comporte des étapes bien définies et la conclusion de ce processus se fera début 2011.
La Communauté Sant’Egidio
Créée en 1968 à Rome, au lendemain du Concile du Vatican II, à l’initiative de quelques lycéens, dont Andrea Riccardi, elle doit son nom à la petite église de Sant’Egidio ( Saint Gilles) du quartier romain de Trastevere. C’est là que se situe cette communauté catholique à laquelle participent plus de 50 000 personnes, actives dans plus de 70 pays des cinq Continents. Cette Communauté a le statut d’Association laïque. La prière et la solidarité avec les plus défavorisés, font partie des tâches qui sont vécues comme un service volontaire et gratuit. Au niveau local comme au niveau international, la communauté s’engage en faveur de la solidarité, l’œcuménisme, le dialogue entre les religions, et a également développé des initiatives en faveur de la paix et de la réconciliation. Elle est très active dans la résolution et la prévention de conflits en Afrique et en Amérique Latine.
La Communauté Sant’Egidio a accompli de grandes choses pour l’humanité et la préservation de la paix dans ces régions et a toujours œuvré dans le silence à l’écart de toute médiatisation excessive. Cette Communauté se fera remarquer à travers le Monde pour le travail remarquable effectué sur l’effroyable guerre civile qui avait ravagé le Mozambique pendant cinquante ans. Une organisation qui en recevant le prix de la Fondation Chirac, verra sûrement tous ces efforts confortés.
Entretien avec Mario Giro lauréat » défendre la paix, la protéger ou la sauver lorsqu’elle est perdue »!
Quelles sont les qualités nécessaire à un négociateur en temps de crise? la patience est la première qualité requise pour un négociateur quand il y a une spécificité temps dans le contexte d’une médiation. C’est justement sur cela que se base tout le travail de la Communauté Sant’Egidio. La paix ne s’impose pas elle se compose en temps de conflit. Dans un conflit tout le monde » a ses raisons et personne n’a raison » il faut donc être ouvert et comprendre l’autre et avoir une grande capacité d’écoute, ne pas venir en grand donneur de leçon, quelqu’un qui saurait tout. Il faut avoir cette humilité avant tout. Il faut surtout venir et apprendre plus que de donner des leçons. On est face à des hommes en conflits mais qui ont besoin d’écoute. Seule la confiance, la parole, et la sincérité font le reste. La patience est importante c’est celle qui décrypte aussi les fins de non recevoir les plus tranchantes.
Michel Camdessus Ex Président du FMI vous décrit comme un diplomate de la force faible? oui c’est justement cela, pas de pression ni d’instrument de représentation politique ou économique. il s’agit véritablement de ne représenter que soi même ou son groupe, la Communauté de Sant’Egidio qui est composée, somme toute, de femmes et d’hommes ordinaires. C’est de cela qu’il s’agit pour notre communauté. La faiblesse c’est d’aller vers l’autre sans aucune représentation de force si ce n’est l’autorité morale que l’on se construit au fil des ans. Le temps est le secret et a toujours le dernier mot même face aux plus grands murs d’incompréhension. Quelque soit le pays, la région du Monde, le langage des hommes est commun.
3/ Sant »Egidio dans le Monde, les initiatives les plus marquantes pour vous? Pour moi ce fut mon expérience au Mozambique en premier lieu c’était la première fois et ce fut un choc aussi pour la Communauté internationale, parce que comme l’avait expliqué à l’époque Boutros Ghali » c’était un modèle différent, en synergie à l’époque avec les Etats et qui apparaissait sur le scénario international. Mon autre mission tout aussi importante, fut notre travail pour la Côte d’Ivoire et aussi le Libéria parce que pour ce dernier pays nous avions carrément sauvé un processus de paix pour trouver le point d’orgue pendant les négociations menées par la CEDEA et le Ghana à Accra. On était sur le terrain et on fait la médiation dans la médiation car il y avait divergences entre les membres du gouvernement et les chefs militaires. Les rebelles qui se dispersaient dans différentes positions on les a réunis et on a aussi travaillé pour se faire avec les Women in White.
4/ Auteur des miracles de la paix, des anecdotes? lorsque j’ai négocié sur la question du Kosovo par exemple je me rappelle de la rencontre avec les jeunes extrémistes serbes ; personne ne les rencontraient, tout le monde allait chez les albanais qui étaient les victimes. Moi je me suis fait accompagné par une universitaire serbe et à un certain moment elle m’ a laissé en disant » moi je ne rencontre pas ces gens là » je suis rentré et ils étaient très hostiles » ils disaient qui est celui là qui vient au profit de l’Occident, des pays qui nous trahissent »?! nous les méprisons. La haine contre l’Empire Ottoman avait laissé des marques et parmi eux il est vrai qu’il y avait eu des gens qui ont aussi beaucoup souffert pendant la guerre en Croatie et en Bosnie.
Il y avait une froideur glaciale durant cette rencontre » je me suis alors mis à commenter les icones qu’il y avait sur les murs, et eux sont tombés sous le choc, ils pensaient dans leur enchevêtrement nationaliste que les icones ce n’était qu’un symbole national et catholique » cela a brisé la glace, on est restés six heures ensemble et on a bu leur eau de vie. Ce sont des expériences difficiles et hermétiques comme celles là qui vous font réaliser que pour avoir la paix et en tout cas tenter de la gagner, il faut approcher les gens et leur parler!
5/ Qu’est ce qui déclenche une guerre au fond?
La guerre est une décision humaine avant tout. La paix est le bien le plus précieux pour une famille, un pays, un humain. La paix est toujours possible, c’est une leçon qui m’a formé et qui m’ a changé. Elle va à contre courant d’une mentalité très diffuse qui enseigne que lorsque les armes parlent elle ne peut plus rien. La guerre n’est pas la triste compagne de l’homme! elle n’est pas un passage de l’histoire contrairement à ce que l’on croit, elle marque le déclin des peuples. ? En Afrique aux Balkans la guerre laisse des traces profondes au delà des pertes car elle corrompt endommage et détériore l’âme d’une Nation. Elle annihile la volonté et l’espoir.
6/ La quête de la paix, angélisme naïf? Oui on a souvent pensé que ma quête était naïve et idéaliste mais elle est en revanche humaine. On dit dans l’Histoire que la guerre est inévitable indépendante de la volonté des peuples, mon expérience est différente. La décision est toujours humaine et de ce fait elle peut être évitée ou changée. Ce n’est pas une décision simple, il s’agit d’un déchirement profond même pour le pire des hommes c’est un chemin sans retour. La guerre n’est pas naturelle à l’homme. Elle n’a aucune rationalité. C’est sur cette décision qu’il faut travailler et donc aider à la prévention des conflits.
L’Afrique est un Continent où les conflits sont larvés et endémiques, quel message? Aux populations civiles le message à donner est clair: résister et faites tout ce qui est en votre pouvoir pour communiquer avec votre gouvernement. Car la paix est le sentiment premier d’un peuple, les gouvernants ne peuvent faire la sourde oreille si les gouvernés s’expriment fortement. Aux gouvernants je dirai de travailler ensemble car il n’y a pas de situation exempte de solutions en travaillant ensemble, en étant à l’écoute, en dialoguant nous pouvons y parvenir et nous, nous pouvons aider. Je parlais des femmes en blanc les Woman in White, il s’agissait justement du travail d’Ellen Johson Sirleaf. D’après vous pourquoi il y a une femme présidente au Libéria? et bien c’est justement le travail formidable des Women in White au Libéria qui a permis son accession au pouvoir. Quelle plus belle leçon d’espoir et de démocratie en Afrique !