Par Fériel Berraies Guigny
Sénatrice de Paris, Bariza Khiari est une militante de cœur et d’engagement. Ardente défenderesse du Droit des Minorités, engagée aussi pour la cause des femmes, elle s’évertue également à démontrer qu’en France, la religion peut aussi cohabiter sereinement avec le politique. Une relecture plus nuancée, loin des stigmates réducteurs que subit aujourd’hui encore dans la République de l’égalité, toute une communauté.
Entretien avec la Sénatrice :
L’éthique, c’est très important dans tous les domaines mais aussi et surtout en politique ?
Faire de la politique, c’est porter sur soi le destin d’autrui. Alors, oui, l’éthique – qui est une réflexion sur le bien agir – est essentiel.
Les femmes aujourd’hui ne veulent plus être des victimes, que pensez-vous des initiatives pour construire le dialogue comme l’Association United Fashion For Peace ?
J’aime les « jeux de mot » qui ont un sens. Et pour moi, United Fashion for Peace a un sens très fort. Je suis très sensible à la mode. Non pas seulement en tant que femme, mais aussi parce que je considère la mode comme un lieu d’expression où se conjuguent les traditions et la modernité, l’artisanat et l’art, le formalisme et la transgression. La mode doit plaire, mais elle doit aussi bousculer. Par exemple, le port du pantalon par les femmes a constitué un moment de rupture politique et sociologique : la mode est également un véhicule de transformation sociale.
Revenons aux femmes et à la bonne gouvernance, pour vous quel bilan ?
La gouvernance est une notion de plus en plus utilisée mais dont la définition est malaisée. Elle pourrait se traduire, dans le domaine politique, comme la version soft, ou subtile, de l’autorité.
L’entrée massive des femmes sur le marché du travail en France ne s’est pas traduite par un désengagement de leur rôle de mère. Au final, les femmes en France sont des cumulardes. Elles ont dû, pour des raisons évidentes, apprendre à gérer l’aspect domestique de leur existence et faire la preuve de leur investissement et de leurs compétences dans le domaine professionnel. Elles sont des chefs d’orchestre du quotidien : rien ne peut leur échapper. Elles sont en permanence dans l’anticipation, l’organisation, et la résolution des différents conflits. Ce cumul d’activité, auquel les hommes sont moins exposés, explique, à mes yeux, leur très grande capacité en matière de gouvernance.
Combien de femmes politiques en France ? L’émergence est-elle possible dans le sud, mais à quelles conditions ?
Il a fallu la loi sur la parité pour que les femmes parviennent à occuper des fonctions électives. Mais cette loi est encore trop souvent détournée, les partis politiques préférant être astreints à une amende, plutôt que de promouvoir leurs militantes. Aujourd’hui, si beaucoup de femmes sont élues dans les conseils régionaux et les conseils municipaux, encore trop peu sont présidentes d’une collectivité. Au Sénat, qui bénéfice en partie d’un scrutin paritaire, il y a 20% de femmes. Mais j’ai la conviction que le temps, le renforcement de la loi sur la parité, et aussi la pression de la société civile contre le cumul des mandats, auront raison de cette réticence de certains appareils politiques à promouvoir les femmes.
Pour que les femmes de la rive sud s’engagent dans la même voie, il faut d’abord renforcer l’alphabétisation et l’éducation. Il faut surtout que cette émergence s’appuie sur une aspiration de la société civile et soit promue par une forte volonté politique. Et que les pouvoirs publics rendent possibles cette évolution en rendant compatible vie professionnelle et vie personnelle par la mise en place d’équipements publics tels que les crèches.
Religion, identité, laïcité, démocratie, parité.
La notion de l’identité n’est pas pertinente dans le domaine politique, du moins en démocratie. Il s’agit d’une notion qui est trop facilement manipulable Je me suis vigoureusement opposée à la création d’un Ministère de l’identité nationale en France. Il s’agissait d’une opération électorale et d’une nouvelle instrumentalisation de l’immigration et de l’Islam dont la droite française est malheureusement coutumière. Nous sommes face à une véritable une régression politique.
Depuis quelques années, un courant de pensée hétéroclite s’est approprié le terme de laïcité. Mais, de toute évidence, la laïcité, dans cette conception, est davantage un instrument de guerre contre l’islam qu’un instrument de concorde civile. Cette conversion tardive à la laïcité n’a comme seul objectif la diabolisation des musulmans. C’est une provocation à laquelle nous devons répondre. La laïcité appartient au progrès, aux Lumières, à la démocratie, et il ne faut pas laisser une poignée de réactionnaires faire une OPA hostile sur ce beau projet émancipateur.
La religion est-elle un obstacle ?
La loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi. Autrement dit, tant que la foi relève de la sphère personnelle, de l’intime conscience, la religion n’est pas un obstacle. Mais il n’est pas concevable que des convictions religieuses soient invoquées explicitement dans l’élaboration de la loi. Il y a quelques années, une députée a brandi une bible dans l’hémicycle du Parlement pour justifier sa position. Ce geste a fait scandale dans l’ensemble de la classe politique.
Il est vrai par ailleurs que, depuis plusieurs années, nous assistons, en France et en Europe, à une crispation autour de l’Islam. Cette crispation a plusieurs explications.
Avec la chute du Mur de Berlin, l’Occident avait perdu son adversaire traditionnel. Il a bien fallu un ennemi de substitution. C’est ainsi que le « péril vert » a remplacé le péril rouge. Les attentats du 11 septembre 2001, opérés par des terroristes, soi-disant au nom de l’Islam, ont précipité les opinions occidentales dans une vision déformée et caricaturale de l’Islam qui est devenu une idéologie à combattre. Cela a permis l’amalgame entre l’Islam et terrorisme. Le terrorisme n’a pas de religion.
Ce ne sont pas les religions qu’il faut combattre. C’est le pacte républicain avec en son cœur la justice sociale qu’il faut rétablir.
Comment les femmes doivent elles se positionner aujourd’hui pour affirmer leur compétences et obtenir la place qu’elles méritent dans les entreprises que dans la politique ?
En tant que responsable politique, je préfère inverser la question. Comment la société, les entreprises, les partis politiques doivent-ils évoluer pour permettre aux femmes d’exister pleinement dans leur profession ? En France, les problèmes portent essentiellement sur la petite enfance et la garde des enfants, la conciliation entre la vie de famille et la vie professionnelle. La réduction du temps de travail a contribué, dans certains secteurs économiques, à libérer du temps. Mais beaucoup de chemin reste encore à parcourir.
En France, l’égalité salariale est encore à conquérir, tout comme la place des femmes dans le top management.
Le Printemps arabe redessine la carte du monde mais également la place de la femme. Quels sont vos espoirs et vos craintes.
Les femmes ont joué un rôle historique éminent dans les guerres de décolonisation. Et ensuite, elles ont été renvoyées dans leur cuisine !!
Aujourd’hui, les femmes de la rive sud sont des acteurs majeurs du Printemps arabe. Il faut qu’elles soient vigilantes et qu’elles revendiquent toute leur place dans la nouvelle organisation sociale, économique, et politique qui se dessine.
Quel est le regard que porte la France et l’’Europe sur ce mouvement historique dans le monde arabe. Faut-il un repositionnement ?
Ni la France, ni l’Europe n’ont vu venir les mouvements sociaux qui sont en voie de transformer la face politique des républiques arabes Cette aveuglement tient à la théorie occidentale, pour ne pas dire néo-coloniale sur la démocratie impossible dans les pays de tradition musulmane. La politique arabe de la France, mais aussi la politique de voisinage européenne, s’appuyaient sur l’idée que la seule alternative au pouvoir autocratique était l’obscurantisme islamiste, il n’y avait qu’un choix : le pharaon ou le barbu. Obsédées par cette question, l’Union Européenne et la France ont cautionné la privation des libertés politiques. D’une certaine façon, j’ai le sentiment que c’est la rive sud qui donne une leçon politique à la rive Nord. La France quant à elle ne pourra pas faire l’économie :
– d’une nouvelle grille d’analyse entre quête du religieux et projet politique. On confond souvent l’Islam politique avec le besoin de spiritualité inhérent à la nature humaine.
– D’une relation apaisée avec le passé et la mémoire coloniale.
– D’un nouveau regard sur les citoyens français de culture musulmane qui sont les meilleurs passeurs entre les deux rives.
– Et enfin, il faudra renouer avec le credo dans le progrès et l’universalisme des droits.