Par Fériel Berraies Guigny
La mission de NKM aux lendemains de la Révolution tunisienne s’était inscrite dans le ferme désir d’apporter l’appui de la France à la Tunisie. Son voyage express en mars 2011 en tout cas, aux lendemain du printemps arabe tunisien, traduisait cette réelle volonté de tenter de comprendre les besoins et les attentes de ses homologues tunisiens .
Mme Nathalie Kosciusko Morizet, ministre française de l’Ecologie, du développement durable, des transports et du logement en visite de travail en Tunisie au mois de mai dernier, avait pu constater par elle-même l’ampleur de ce qui était à faire aux lendemains du Tsunami Politique qui avait secoué et libéré la Tunisie. Nous l’avions rencontrée quelques mois plutôt à Paris lors d’une soirée qui venait célébrer la journée de la femme et au cours de laquelle les parcours « réussis de la France plurielle » étaient mis à l’honneur. Mais depuis la Tunisie a basculé dans l’incertitude avec la montée de l’islamisme et les complaisances tacites du Nord avec ces mouvements. Flash Back sur un entretien qui pourtant laissait présager tant d’espoir de reconstruction.
Récit de l’entretien :
1 :)Parlez-nous de votre passage tunisien, vos impressions? Votre souhait et vos objectifs ?
J’ai tenu à me rendre très vite à Tunis, quelques semaines après la révolution du 14 janvier. J’ai pu m’entretenir avec le ministre de l’Environnement et de l’Agriculture, le ministre du Transport et de l’Équipement et celui de l’Industrie, des Technologies et de l’Énergie. C’était une période encore incertaine. Les ministres ont été confirmés dans leur fonction le jour même de ma visite, le 7 mars. J’ai pu rencontrer également des associations qui agissent pour l’environnement, ainsi que des représentants du monde universitaire. J’ai été frappée par le sens des responsabilités de mes interlocuteurs tunisiens aussi bien au sein du gouvernement que de la société civile. J’ai été impressionnée par leur optimisme et par leur détermination. Lors du déjeuner avec les ONG, j’ai été émue par le récit du travail passé, poursuivi en dépit de moyens dérisoires et des brimades des autorités. J’ai eu conscience, rencontrant les uns et les autres, d’être au cœur d’une histoire en train de se faire.
Le processus engagé est en effet historique. Il est porteur d’espoirs pour la région et bien au delà. La Tunisie dispose de tous les atouts pour réussir et surmonter les difficultés qui pourraient se présenter sur son chemin, grâce aux qualités et au courage admirable des Tunisiennes et des Tunisiens. La France se tiendra à leurs côtés. Je souhaite pour ma part, à la mesure des moyens et des responsabilités de mon ministère, qui est celui de la vie quotidienne, apporter des propositions de coopération concrètes.
2 )Comment pensez-vous que la France pourrait aider s’agissant de la transition démocratique en cours ?
En apportant son soutien économique d’abord, car c’est aux Tunisiens qu’il appartient de définir leur chemin vers la démocratie. En partageant son expérience dans certains domaines, ensuite. Je prendrai un exemple dans le domaine que je connais bien : le dialogue avec la société civile dans le domaine de l’environnement. C’est la démarche du Grenelle de l’Environnement qui nous a permis d’avancer et de faire évoluer les esprits, en impliquant tous les acteurs.
3 )Quel type de coopération envisageriez-vous s’agissant du domaine de l’énergie, des transports et de la gestion de l’eau ?
Dans le domaine de l’énergie, la Tunisie possède un potentiel extraordinaire en matière d’énergies renouvelables. La France entend soutenir l’élaboration et la mise en œuvre du plan solaire tunisien. L’un des enjeux important dans ce contexte, pour rentabiliser les investissements, est de raccorder la Tunisie à l’Europe. Afin qu’elle puisse exporter des « électrons verts », à travers le réseau Medgrid.
Le traitement des eaux est également une préoccupation majeure aujourd’hui. La coopération franco-tunisienne doit se poursuivre et se renforcer sur tous ces enjeux qui sont à la fois de vie quotidienne, d’environnement et de développement durable. Beaucoup reste à faire, aussi bien en matière de transports que d’urbanisme, et les Tunisiens cherchent à mieux équilibrer le développement de leur pays, dont le centre reste partiellement déshérité. Depuis ma visite, les ingénieurs du Ministère se sont rendus à plusieurs reprises sur place pour faire avancer ces projets.
4 )La reconstruction et le développement durable, les axes de priorité de votre Ministère, parlez nous des projets en cours ?
La mise en œuvre du Grenelle de l’Environnement constitue, en ce qui concerne les dossiers nationaux de ma compétence, ma première priorité. 2011 est l’année de maturité du Grenelle. De nombreuses réalisations la rythment : les 200 décrets d’application de la loi Grenelle qui permettent d’activer tous les outils que nous avons créés, les nombreux appels à projets qui permettent d’orienter des moyens spécifiques sur les politiques du Grenelle de l’Environnement (R&D pour développer des filières industrielles « vertes », rénovation thermique, infrastructures pour les véhicules électriques, etc…), etc.
Nous avons dans ce cadre des chantiers emblématiques, parmi lesquels :
– l’expérimentation de l’affichage des caractéristiques environnementales des produits, fer de lance de la consommation durable ;
– le développement responsable des énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien, biogaz…), avec le souci d’en faire un atout pour notre industrie et une préoccupation pour la soutenabilité financière ;
– l’accélération de la mutation du secteur du bâtiment avec le grand défi de l’amélioration de la performance énergétique du parc existant ;
– la mise en place de nouveaux parcs naturels nationaux ;
– la mise en œuvre du plan national santé environnement pour assurer la prévention et la gestion des pathologies liées à la pollution ou à la dégradation de l’environnement.
5 ) Avec la catastrophe humanitaire et énergétique japonaise, quelle leçon tirer pour les pays du Nord et du Sud ?
Cette catastrophe nous montre une fois de plus qu’au regard des aléas naturels, aucun pays n’est épargné. Malheureusement, avec la hausse prévisible du niveau des mers liée aux changements climatiques et à la forte pression démographique sur le littoral, il faut s’attendre à l’avenir à de tels phénomènes plus fréquemment que par le passé. Mais nous avons également les moyens et la possibilité d’en limiter les conséquences en adoptant des politiques de prévention des risques.
Il s’agit, par exemple, de maîtriser l’urbanisme dans certaines zones, ou de l’adapter à ces changements prévisibles. Il s’agit également d’améliorer nos systèmes de prévision et d’alerte. Nous mettons ainsi en place un centre régional d’alerte au tsunami pour la région Atlantique Nord et Méditerranée qui pourra bénéficier à l’ensemble du bassin méditerranéen. Enfin, il faut développer la culture du risque à tous les niveaux et, notamment, au sein de la population.
6 )L’énergie pèse de plus en plus lourd dans le budget des ménages et le coût ne cesse de grimper (essence, électricité, gaz). Par ailleurs, la planète subit les contrecoups d’une consommation toujours plus élevée. Les énergies nouvelles nécessitent des programmes d’investissements très importants et sont donc souvent plus chères. Comment faire pour à la fois réduire la pollution énergétique et réduire la facture des ménages ?
La meilleure des énergies est celle qu’on ne consomme pas. Sur l’énergie, on se concentre souvent sur la question de la production. Mais aujourd’hui, l’évolution des prix de l’énergie, les effets du changement climatique et les conflits au Moyen-Orient appellent à débattre de la demande. Nous devons renforcer notre action en matière de maîtrise de la demande. J’installerai à cette fin prochainement une table ronde sur la sobriété énergétique. L’objectif sera de mettre en place un grand plan d’action au bénéfice du pouvoir d’achat et de la compétitivité des entreprises.
7 )La priorité des pays en voie de développement n’est pas la pollution mais de survivre. La lutte contre la pollution n’est-ce pas un problème de riches ? A quoi serviront les efforts de certains si les pays les plus peuplés ne s’engagent pas dans une telle démarche ?
Il ne faut pas opposer le développement et l’environnement. La protection de la planète est importante pour tous ses habitants. Les pays en développement peuvent tout à fait adopter des trajectoires de croissance sobres en carbone et efficaces pour leur développement, en utilisant par exemple les énergies renouvelables. Comme le solaire ou l’éolien, dont ils sont richement dotés. Les pays développés ont la responsabilité de les y aider en transférant des technologies et en apportant des financements publics et privés. C’est l’objectif de l’initiative Paris Nairobi qui vient d’être lancée sur l’accès universel aux énergies propres en Afrique et dans les pays vulnérables au changement climatique. Il faut que les mécanismes et les financements s’adressent d’abord à ceux qui en ont le plus besoin.
8 )Le développement durable, c’est aussi les femmes. Que pensez-vous de la victoire des femmes tunisiennes vis à vis de la parité qui sera adoptée dans la nouvelle Constitution ? Un modèle pour le Nord ?
Les femmes tunisiennes avant la révolution restent un exemple car elles ont été à la pointe du combat pour la liberté. Elles ont obtenu la reconnaissance de leurs droits en matière de lutte contre les discriminations et de parité. Nous savons combien ces avancées sont toujours acquises de haute lutte et sans cesse remises en cause.