Ahmed BAROUDI – PhD, est Directeur Général de la Société d’Investissements Energétiques du Maroc, depuis sa création en février 2010. Son parcours est jalonné de challenges, fortement technologiques et industriels au départ, puis progressivement commerciaux, business et stratégiques.
D’abord Directeur de Projets au sein d’équipes de production opérationnelles dans les Télécoms, il intervient sur la conception de systèmes complexes, et en management d’équipes Programmes. Par la suite, il s’oriente vers le Commerce International et le « Business Développement », dans un environnement de forte compétition industrielle et de stratégie d’offres.
Il intègre par la suite un autre groupe européen, leader mondial dans le domaine spatial, où après une intense coopération avec l’Agence Spatiale Européenne, il a en charge les activités en Afrique s’agissant de l’observation de la Terre et de la Science, notamment dans le cadre de la coopération Union Européenne-Afrique
Ahmed Baroudi a aussi contribué à la création de l’Université Internationale de Rabat, bénévolement. Il a aussi créé avec ses amis une association à but non lucratif pour le Développement Durable au profit des jeunes.
Ahmed Baroudi a une carrière internationale importante toujours maintenue dans des environnements à forts caractères technologiques.
Nous avons eu le plaisir et l’honneur de le rencontrer lors de la 8é édition de la WTE où il était venu participer à un panel d’intervention et nous avons été séduite par son discours vis à vis de l’Afrique Subsaharienne. C’est réellement un de nos coups de coeur au masculin, car en prime et cela ne gâche rien, il est non seulement engagé pour l’Afrique, pour la planète mais aussi les femmes !
Ahmed Baroudi Directeur Général de la Société d’Investissements Énergétiques du Maroc
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Entretien :
Parlez-nous de votre parcours et de votre travail.
J’ai le bonheur d’appartenir à deux pays, le Maroc qui est mon pays d’origine et la France qui est mon pays d’adoption. Depuis mes 18 ans j’ai toujours vécu en France où j’ai fait mes études, j’ai fondé une famille et j’ai travaillé dans plusieurs sociétés, dont des grands groupes dans les domaines des télécommunications et du spatial.
A la demande du haut niveau, je suis rentré au Maroc en février 2010 pour créer et lancer la Société d’Investissements Energétiques (SIE) du Royaume, c’est une société anonyme d’Etat qui fait partie des 37 établissements et entreprises considérés comme stratégiques.
Comme souvent dans la vie des entreprises, la SIE est passée par plusieurs péripéties au rythme des événements liés à l’énergie et fonction des divers intérêts en place dans le pays. La société aura en tout cas apporté sa contribution à la stratégie énergétique du Maroc.
Le positionnement stratégique de la SIE a toujours été de prendre fait et cause de l’investissement privé, en particulier avec les PME installées au Maroc, car elles constituent l’essentiel du tissu industriel marocain, c’est à dire la première source d’emploi et de création de valeurs. La SIE codéveloppe et co-investit avec ses partenaires, ses prises de participations étant minoritaires avec des stratégies de sorties systématiques. Aujourd’hui la société est un véritable outil de développement économique sectoriel s’agissant des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Du reste, ce modèle intéresse énormément de nombreux pays.
Le paysage énergétique du Maroc étant aujourd’hui modifié et en évolution, un débat national est en cours quant au positionnement des différents acteurs du secteur énergétique, ce qui est recherché étant la rationalisation et la complémentarité des rôles de chacun. L’exercice est en cours et je souhaite vraiment qu’il aboutisse positivement au mieux des intérêts du Maroc.
Qu’est-ce qui vous a amené justement à vous orienter vers l’Afrique ?
Beaucoup de choses comme mon origine, mes amis, … et surtout une expérience révélatrice.
J’ai eu le privilège de diriger un important programme de coopération entre l’Union Européenne et l’Union Africaine, il s’agissait de déployer à l’échelle continentale un réseau scientifique de monitoring de l’environnement en s’appuyant notamment sur les données spatiales. Le siège du programme était basé à Addis Abeba et nous avions des équipes dans les 5 régions d’Afrique. Ce fut une grande expérience qui m’a permis de rencontrer des personnes exceptionnelles, en Europe bien entendu, mais aussi à travers toute l’Afrique. Notre devise était de développer pour/par et avec l’Afrique.
A cette occasion j’ai vraiment ouvert les yeux sur la réalité de plusieurs populations en souffrance, et lorsqu’on réalise cela alors qu’on est soi-même africain, il est impossible de rester indifférent.
J’avais alors décidé de m’engager d’une manière ou d’une autre pour aider à améliorer la qualité de vie de tant de populations qui souffrent.
Les problématiques dans le continent sont diverses et bien sûr, le seuil de développement n’est pas le même, qu’en est-il des besoins pour l’écologie et la préservation des systèmes ?
Les besoins pour l’écologie sont tout simplement incommensurables. Le continent africain est encore un reflet authentique de la nature excepté les villes. Ce qu’on appelle « le développement » n’a pas encore totalement touché le continent fort heureusement, il demeure relativement préservé et à ce titre représente le prochain grand marché de la planète, ce qui attise déjà toutes les convoitises. Dans son « sous-développement » le continent africain a encore la chance d’être préservé de nombreuses dérives occidentales et se doit de prendre tous les raccourcis technologiques correspondant aux bons choix pour ses populations. J’entends par là qu’il est nécessaire de préserver la Nature et ses équilibres dans tous les domaines, le premier d’entre eux : l’agriculture. Il me paraît fondamental de créer et développer de la valeur en milieu rural en visant la maitrise des semences naturelles par les agriculteurs, la préservation de la qualité des sols agricoles et celle des méthodes ancestrales de productions agricoles.
Je ne crois pas aux développements prônés par les grands laboratoires ou groupes agroalimentaires, nous en connaissons malheureusement que trop les résultats : développement des maladies, surconsommation de médicaments trop souvent inutiles, énormes dépenses des états en matière de santé publique, … bref une véritable course en avant au détriment de la santé des Hommes et profit d’une minorité qui de son côté prend bien soin de consommer BIO.
Pourtant les peuples sahéliens continuent de payer le prix fort de la désertification, des émanations toxiques des pays industrialisés, comment faire prendre conscience ?
Les peuples sahéliens ont bien pris conscience des effets qu’ils subissent, ils restent malheureusement désarmés face à un tel phénomène planétaire incontrôlé. La prise de conscience doit être effective en Occident, c’est-à-dire à la source du problème. Les COP œuvrent dans cette direction, je fais référence aux accords de Paris lors de la COP21. Mais le chemin est très long car beaucoup d’intérêts sont remis en causes et beaucoup de dirigeants épousent malheureusement la même devise : « après Moi le déluge ».
Je ne vois guère d’autre approche que la persévérance par l’action sur le terrain, la communication vers les grandes masses pour approcher une réelle prise de conscience des réalités de notre quotidien qui menacent nos vies, très souvent insidieusement. Un jour ou l’autre il va falloir choisir entre « développement responsable » ou le maintien de cette course effrénée vers le profit d’où qu’il vienne ; j’espère seulement que ce ne sera pas trop tard.
On déplore un certain déni et un manque d’aide financière pour l’Afrique Subsaharienne, à quoi attribuez-vous cela ?
L’Afrique Subsaharienne est toujours sous l’effet du contre coup de la colonisation quoiqu’on en dise.
On parle beaucoup de fonds climatiques par exemple, mais lorsqu’on en voit les clés de répartitions entre ce qu’on appelle le Sud et le Nord, on se demande pour qui et à quelles fins ces fonds sont créés. Leurs modalités d’accès sont complexifiées à souhait avec des probabilités de déblocages de fonds pour ceux qui en ont besoin sur le terrain, relativement faibles en Afrique en tout cas.
La France porte une grande responsabilité et en même temps a un grand rôle à jouer pour aider l’Afrique Subsaharienne. La France regorge de PME extrêmement dynamiques et porteuses d’innovations bien alignées avec le développement durable qui ne demandent qu’à s’exprimer aussi bien en métropole qu’ailleurs, en Afrique notamment. Je parle préférentiellement de PME car elles ont le bon niveau de souplesse et de compétitivité, porteuses de solutions nouvelles, tel qu’en a besoin le terrain africain. Bien entendu les autres acteurs sociaux et économiques ont aussi toute leur place dans un schéma de déploiement franco-africain qui devra en priorité respecter une valeur : l’Afrique. Si la France ne s’engage pas dans ce défi, d’autres puissances prendront la place irrémédiablement, et le temps est compté pour tous.
En réalité l’aide financière a du mal à arriver alors qu’elle est très fortement disponible, en particulier s’agissant des liquidités privées. L’enjeu réel est de bâtir les contextes et les modèles qui permettent à ces liquidités d’atteindre les marchés disponibles et asséchés à ce jour, pour impulser l’investissement dans des solutions durables et respectueuses de l’environnement au bénéfice des populations en souffrance.
L’Afrique Subsaharienne doit prendre en main sa destinée et évoluer avec ses amis et partenaires dans une logique de partage équitable des richesses.
En évoquant la France, loin de moi l’idée qu’elle finance le développement de cette partie du monde, par contre elle peut accompagner son développement à travers des investissements responsables, ceux-là même qui rétribueront les efforts consentis des PME et autres acteurs sociaux économiques français.
Les réfugiés climatiques, sont une donne pourtant quantifiable ?
En effet cette donne est malheureusement quantifiable, même prédictible.
L’Europe dépense annuellement plusieurs milliards d’euros pour faire face à ce problème, pour protéger ses frontières, etc.
La source du problème n’est pas en Europe, et si rien n’est anticipé à la source, la situation ne fera qu’empirer. Les populations qui migrent clandestinement, dans une très large majorité, n’a d’autre choix que tenter sa chance pour sa survie. Elles n’ont plus rien à perdre, rien dans leurs pays qui souffrent aussi.
L’Union Européenne est parfaitement consciente du phénomène et a bien compris la seule action possible qui ait du sens : créer et développer de la valeur en Afrique.
Parlez-nous de votre participation au Women’s Tribune ?
Le Women’s Tribune est une action importante qui touche un problème essentiel en Afrique, c’est la condition de la Femme alors qu’elle représente plus de la moitié de la population. Je ne connais pas dans l’histoire de l’humanité ne serait-ce qu’un pays qui ait réussi à évoluer et se développer en gardant les femmes hors du débat.
Le Women’s Tribune mène une action concrète de sensibilisation à cette question et avec le bon Esprit, c’est important de la soutenir si l’on veut que nos sociétés évoluent dans le bon sens. C’est la raison principale de ma participation que j’ai souhaité cette année contributive c’est pourquoi, sur proposition d’une Grande Dame qui nous est venue du Sénégal, nous avons conclu cette édition du Women’s Tribune avec une action concrète, un projet qui bénéficiera à beaucoup de femmes en Afrique : il consiste à concevoir « un nouveau modèle de développement économique autour d’une ressource naturelle », en l’occurrence l’argan puisque nous étions à Essaouira aux portes de la région du Souss qui abrite la plus importante forêt d’arganiers au monde.
Les problèmes concernant l’humain, les droits, la justice, l’emploi et l’éducation au Maroc font que la question du genre est devenue secondaire. Qu’en pensez-vous ?
La question du genre ne peut pas être secondaire, elle est omniprésente quel que soit le sujet abordé. Le nier c’est pratiquer la politique de l’autruche.
Comme beaucoup de pays, le Maroc a son lot de problèmes où en effet l’humain est au centre. Il est toutefois difficile de dire que le Maroc marginalise la question du genre : instauration du nouveau code de la famille (la moudawana), ouverture à de nouvelles fonctions jusque-là dévolues aux hommes (les adouls), évolution des lois (ex : le mariage), …
C’est dans la pratique sur le terrain que le travail reste encore difficile à réaliser. Le Maroc est un pays où les traditions sont encore fortement ancrées avec un taux d’analphabétisme toujours important, en particulier chez les femmes. La représentativité des femmes dans les gouvernances comme en politique reste très faible à ce jour. Le Conseil Economique Social et Environnemental relève lui-même la baisse du taux d’activité des femmes.
Pour moi la principale difficulté rencontrée est celle de la mentalité des marocains, y compris des femmes elles-mêmes, en particulier en milieu rural. Il est important de maintenir le cap de l’émancipation de la Femme au Maroc car sans elle point de salut. L’éducation est une partie importante de la réponse, c’est elle qui ouvre les esprits, qui les éloigne de l’obscurantisme.
Quelle est votre actualité ?
Je dirige une société qui se trouve aujourd’hui dans un échiquier en évolution, et ce depuis février 2010. Un grand quotidien marocain a écrit : « Ahmed Baroudi est dans les starting-blocks pour démarrer une nouvelle aventure », il a vu juste.
Au stade où je me trouve, je souhaite désormais centrer mon énergie autour de trois actions uniquement :
- Faire du bien aux populations en souffrance dans une logique de transmission
- Utiliser mon expérience pour bâtir, construire positivement
- Le faire sans calculs ni combats inutiles car une bataille évitée vaut mieux que deux guerres gagnées
Merci Ahmed Baroudi !