Le Secret de l’enfant fourmi : un film de Christine François
Sortie prochaine en salle nationale en France, le 02 mai 2012. Bac Films
United Fashion for Peace. Droits Réservés
Par Fériel Berraies Guigny
Enfance en danger et à la dérive, maltraitance, abandon, problèmes et secrets de famille, toutes ces thématiques sont chères à la réalisatrice Christine François qui choisit toujours de raconter des histoires que ce soit des fictions ou des documentaires, basées sur la réalité. Une quête personnelle de la vérité, comme pour mieux transcender les souffrances humaines de l’enfance et de l’adolescence.
Mais c’est la rencontre en France avec une femme qui a vécu les problématiques d’une adoption internationale, celui d’un enfant abandonné du Nord du Bénin qui va inspirer cette fiction.
Toutes ces questions douloureuses et inévitables » qui suis je, où est mon papa, pourquoi je ne ressemble pas à ma maman » ont inspiré la réalisatrice qui a voulu aller plus loin dans son enquête. L’Enfant fourmi est un film qui met la lumière sur un sujet tabou : celui de l’infanticide rituel. Cette coutume pour beaucoup considérée comme « barbare » sévit encore aujourd’hui dans la communauté bariba du Nord Bénin. Comment aborder ce sujet sans jugement et avec pudeur? Christine François, l’a fait, un exercice périlleux qui l’a en tout cas marquée. Son regard sur le Monde n’est plus le même.
Qui sont donc ces enfants « sacrifiés » ?
Ces enfants naissant avec des stigmates et sont considérés comme porteurs du mal. Il seraient capables de cannibaliser leur entourage selon les croyances populaires et sont éliminés par les communautés qui les enfantent. Un sujet terrible et pourtant un cri d’espoir.
Rencontre avec la réalisatrice Christine François » faire ce film répondait à une nécessité intime » !
1/ Votre dernier film, parle de plusieurs thématiques de société adoption, intégration, choc des cultures, un ballet incessant entre la France et l’Afrique, pourquoi le choix de ce sujet? Je voulais depuis plus dix ans concrétiser ce projet. Faire un film sur l’adoption internationale pour justement aborder ces questions de comment on élève les enfants qui viennent d’un pays différent du pays d’adoption. Ce film répond à une nécessité intime en fait. Ce n’est pas un sujet alibi, je ne voulais absolument pas être dans l’air du temps. C’est vraiment une question que je me posais en moi profondément, d’abord parce que j’avais des amis qui ont adopté et qui se sont trouvés dans des situations assez complexes, comme celle que l’on voit dans le film. J’ai observé ce qui s’était passé et avec une amie qui avait adopté un enfant du Nord Bénin, un enfant de l’abandon. C’est un sujet qui recoupe plein de choses qui m’intéressent, des thématiques d’ailleurs que l’on retrouve dans d’autres films que j’ai déjà fait.
Quels sont ces films? j’ai fait des fictions pour la télévision comme » poids du corps » et là c’est plus un film autobiographique qui explore les coulisses des sports de compétition. Car en fait, j’ai fait du patinage artistique en haute compétition et à un moment, j’ai été confronté à l’échec au niveau du corps et des blessures. Ce film parlait de la fracture du corps quand il est trop poussé dans la compétition. Après j’ai fait des films documentaires avec Daniel Carlin, puis des fictions où on parlait d’itinéraires d’enfants et d’adolescents qui croisaient à un certain moment la justice, la brigade des mineurs ; d’ailleurs cela a inspiré Maiwen qui en a fait un film » Poliss » . J’ai aussi travaillé sur les adolescents en psychiatrie. J’ai aussi fait un film sur la recherche en paternité, d’ailleurs cela m’a inspiré dans le Secret de l’enfant fourmi, le personnage de Cécile la maman adoptive qui a vécu elle-même l’abandon. J’ai beaucoup travaillé autour des secrets de famille, de l’enfance et de l’adolescence comme étant un âge à risque aussi.
2/ fiction puisée de la réalité, cette histoire est basée sur des faits réels? je ne voulais pas être dans le fantasme, quand j’ai découvert cette histoire je me suis dit il faut que j’enquête, il fallait aller sur le terrain. Un enfant venu d’Afrique, je cherchais en fait le lien historique et du coup cela me permettait de travailler sur cette problématique qui devenait très réelle. A partir du moment où j’ai découvert cette histoire d’enfants bariba rejetés pour des questions de croyances populaires, faire le film devenait une évidence.
3/ Cette histoire est quand même extrêmement impressionnante non ? je me suis posée la question de savoir si cette histoire j’allais la tourner dans les lieux où cela se passe ou pas. Fallait il tourner en pays bariba, avec des baribas en langue bariba? j’ai fini par filmer les gens qui vivaient cela au quotidien, une chose qui faisaient parti de leur vie. J’ai répondu à toutes leurs questions car à défaut je serai restée dans mon fantasme à moi et je ne le voulais pas!
Vous abordez des thèmes chères à l’Afrique, les croyances populaire, les superstitutions, les rites s’agissant des enfants bariba? les acteurs qui étaient avec moi on animé des scènes à partir de leur vérité à eux. Je n’aurai jamais pu le faire seule et j’aurai fait appel à l’imaginaire. Sur ce sujet là, je ne voulais pas ouvrir la porte au fantasme. S’agissant des enfants bariba, ce qu’il faut savoir c’est qu’auprès du peuple bariba, il y a un certain nombre d’enfants qui, parce qu’ils sont porteurs d’un certain nombre de signes ‘( la façon dont l’enfant arrive durant l’accouchement, s’il arrive à huit mois, s’il vient par le siège, s’il pousse plus tard ses dents par le haut ) il est considéré comme un sorcier. Un enfant qui n’est pas un enfant mais un être qui revient pour faire du tort à la maman et à sa famille. Un enfant porteur d’une malédiction qui va faire du tort à la famille.
4/ Qu’est ce qui fait peur dans ces enfants? l’enfant fourmi pourquoi? et les mamans bariba comment font elles face? leur côté maléfique, leur puissance de mort, ils reviendraient de l’au-delà et viendraient pour manger les autres, manger la famille, manger la maman. Ces enfants à partir du moment où ils sont identifiées et repérés comme sorciers, il se passe qu’en pays bariba il sont victimes d »infanticide rituel. Les bourreaux dans les villages, auraient la mission de les éliminer » les réparer » comme ils disent et cela signifieraient leur ôter la vie. Des rites qui sont encore pratiqués aujourd’hui, et cela a été vérifié dans mes enquêtes. Beaucoup de gens m’en ont parlé de façon claire et franche et même dans mon film les personnes qui y ont participé m’ont confiée dans le making off qu’effectivement ils sont concernés en premier lieu ( une cousine, un frère, une sœur, éliminés) Quand on sait que cela existe on vous en parle, mais quand on le sait pas, il est vrai que personne n’en parle ouvertement. S’agissant de l’enfant fourmi, et bien c’est simplement qu’on m’ a expliqué que les enfants une fois éliminés on les mettait dans les termitières géantes et du coup les termites le mettent en morceau » et c’est une façon de se prémunir du retour du sorcier » !
Quand j’ai commencé à enquêter, je venais d’avoir des enfants et je me demandais comment les mamans tenaient le coup, et bien elles restaient stoïques, ne pleuraient pas et du reste on ne leur donnait pas la parole non plus. A la fin du film, il y a une petite maman analphabète et on lui traduit ses paroles, et la comédienne qui jouait le rôle ne l’était pas du tout et donc en quelque sorte, c’est une façon de parler pour les femmes qui n’ont pas la parole.
5/ C’est un sujet assez difficile, n’aviez pas des craintes de l’aborder, vous a ton intimidé en quelque sorte ou pas? je me suis associée aux gens qui essayent de faire bouger les choses. Notamment un prêtre qui s’appelle Pierre Bio Sanou qui est bariba et qui depuis cinquante ans à l’intérieur de son peuple essaye de faire évoluer cette situation.. Il a sauvé deux cents enfants directement et en a fait adopté plein dans le Monde. Ce Monsieur a changé ma vie à partir du moment où je l’ai rencontré. Il s’est opposé à tout le monde, c’est le premier qui a osé en parler, il s’est fait rejeter de sa famille, mais il n’a jamais eu peur. Son courage a joué sur nous et sur les comédiens qui du coup ont participé au film sereinement. Le film a été projeté au Bénin, il y a un mois dans un forum contre l’infanticide, c’est le premier forum organisé par franciscains international qui sont des porte paroles de l’ONU qui ont longtemps et longuement écouté Pierre Bio Sanou et tous ces témoignages. Et là, la problématique de l’infanticide rituel est dans tous les débats.
Vous avez pu digérer émotionnellement? j’ai beaucoup pleuré mais au début, mais comme je voyais qu’ils ne pleuraient pas j’ai arrêté de le faire, à mon premier voyage un bariba me dit « pourquoi tu pleures? et il me répond « nous on dit que pleurer c’est vouloir retourner à l’eau de sa maman » ! j’ai trouvé cela incroyable et cela m’a calmé!
6/L’abandon, puis la maternité forcée qui devient ensuite une maternité désirée, comment avez-vous retransposé visuellement cette problématique? Le personnage de la Mère adoptive Cécile a subi justement l’abandon elle aussi et donc elle a adopté cet enfant comme pour se justifier du droit d’exister. En fait je voulais me poser la question de savoir comment élever un enfant qui a été exposé au traumatisme de l’abandon. Les deux personnages, mère et fils se posent la question de leur propre droit à vivre. Adopter un enfant alors qu’il a été menacé de mort, cela soigne quelque part chez le personnage Cécile, certaines blessures. D’un point de vue symbolique j’avais préparé le terrain, il y avait une scène de cascade et de baignade et cela à avoir avec une fécondation, mais c’est de très loin. J’ai essayé de travailler le lien charnel entre la mère et l’enfant; le personnage est vraiment la maman de cet enfant qu’importe leur différence. Et c’est là tout le symbol du film, qu’importe les différences le lien était fort entre les deux. Un enfant adopté est souvent un enfant désiré et voulu.
5/ Votre expérience sur le terrain quand vous avez filmé, quels ont été les défis, les bonnes comme les mauvaises expériences? en conclusion quel regard vos spectateurs auront de l’Afrique? j’ai beaucoup fait lire le scénario en Afrique pendant que je l’écrivais, j’ai fait cela au travers de mes voyages incessants entre la France et l’Afrique. C’était important pour moi d’avoir leur avis, je voulais un film écrit pour les deux regards. A L’intérieur du film les deux Mondes se croisent. Je suis partie à la découverte d’une autre pensée et d’une autre vision et pour un cinéaste c’est très intéressant car c’est là-dessus que l’on travaille. Le cinéma me permet d’exprimer ce qui a bougé dans mon regard. J’ai changé mon regard, car on est toujours façonné par notre culture et du coup il était formaté inconsciemment. J’avais pas pris la mesure decomment la peur est quelque chose qui se construit par la culture. Comment par ex « on est malade en fonction de la culture dans laquelle on vit » par ex l’enfant dans mon film quand on le regarde d’un point de vue occidental, on peut penser qu’il a des troubles psychiques. Cet enfant là, si on le regarde en Afrique on ne le percevrait pas de la même façon. En le ramenant dans son pays de naissance, j’ai pu voir comment il était regardé la bas et comment il y a un soin possible pour lui, par le simple fait d’être reconnu là bas par ses parents, et réinscrit dans sa communauté. Faire évoluer la pensée et la grille d’analyse, c’est quelque chose qui me parait de l’ordre de la vérité.
6) Quel message donnez aux lecteurs de UFFP? à l’intérieur du film il y a un travail qui permet de bien penser cette la problématique. Comme on rencontre à l’intérieur du film des comédiens qui jouent les rôles de leur vie en fait, le film ne laisse pas les spectateurs démunis. Je donne des ressources à l’émotionnel. J’aimerai que le film puisse devenir un outil pour amorcer une évolution et que les individus à l’intérieur du peuple bariba aient envie que cela se passe autrement. Mais le film témoigne aussi de changements à venir. On peut aussi se dire aujourd’hui, que l’on peut se transporter dans un peuple autre que le notre sans ingérence. Et qu’on peut faire des choses ensemble sur des sujets graves, faire bouger les mentalités Pierre Bio Sanou nous a confié qu’il était très seul et que dans tout le village il n’y a qu’une maternité de construite et cela ne suffit pas. Ce qu’il faut savoir c’est que les maternités permettent de limiter les infanticides rituels car du coup on ne sait plus comment naissent les enfants.Cela demande beaucoup d’argent que de lutter contre les désignations sorcières. En ouvrant la porte à la conscience de l’autre, peut être que l’action viendra aussi.
Bonjour,
Je suis vraiment bouleversée par ce film, car il me ramène à ma propre « histoire ». Je suis divorcée d’un béninois, dont j’ai eu deux enfants, que j’élève seule, et tout a commencé à se dégrader, dès la naissance de mon premier fils,…….et une descente aux enfers. Je me prénomme Bernadette, et je souhaite vivement entrer en relation et discuter avec Christine FRANCOIS. C’est égoiste, mais je n’ai jamais été comprise par la brigade des mineurs, les éducateurs, certains psychiatres, et cela me ferait le plus grand bien de rencontrer cette courageuse personne, si c’est possible. Je laisse mes coordonnées, sait-on jamais !
06.87.26.71.49
A très bientôt j’espère.
Bernadette