Africités VI met les femmes à l’honneur, mais localement qu’en sera-t-il ? !
de gauche à droite: Jane Anyango. Kenya et Fatou Sow. Sénégal
De notre envoyée spéciale à Dakar Fériel Berraies Guigny
Photos Diane Cazelles. Toute reproduction texte et visuels interdite.
Les Femmes Africaines sont plurielles : diversité ethnique, culturelle, religieuse. Mais elles se ressemblent toutes quand il s’agit de leurs droits et de leur devenir sinon de leur avenir, elles sont unies dans un même combat : l’Afrique de la relève, l’Afrique de l’émancipation et de la parité. Une bataille longue et laborieuse, une bataille nécessaire que nous devons livrer en rang uni. Aujourd’hui les crises du Sahel et les profondes désillusions générées par les « réveils arabes » se sont vite transformées en cauchemar, et mettent en péril les acquis des femmes d’Afrique du Nord et leurs sœurs de l’Afrique subsaharienne dans les violences politiques et les marasmes socio économiques Alors oui, il est salutaire d’organiser des forums sur les femmes, des panels de discussion autour d’elles dans les grands rendez-vous politiques mondiaux. Mais au fond, cela va t-il réellement changer le regard que l’on porte sur les femmes en Afrique ? Vont-elles pour autant être plus entendues et plus valorisées ? Qu’est-ce que cela va changer dans leur quotidien, quand certaines sont empêtrées dans des dynamiques effroyables de survivologie ? Seront-elles pour autant plus représentées ou élues dans les administrations locales ? Et une fois au pouvoir se rappelleront-elles de leurs sœurs ?
Les femmes élues d’Afrique au rendez vous, en bleu turquoise la Sierra Leone, en noir et Fuchsia le Niger
Quelques faits
Selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), le nombre insuffisant d’emplois décents créés dans la région et la pauvreté largement répandue pèsent lourdement sur les femmes africaines. Or le financement de l’égalité des sexes est crucial et les femmes africaines sont un moyen véritablement efficace de « réduire la pauvreté, d’augmenter la croissance économique et accélérer la réalisation de tous les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) »
Cependant ce sont bien les inégalités persistantes entre les sexes et les violences contre les femmes qui constituent encore aujourd’hui, les freins à la réalisation des Objectifs « féminins » du millénaire pour le développement.
Les Femmes africaines en « Mouvement »
Les organisations de femmes sont très présentes sur le Continent, elles contribuent à changer la donne en déployant des efforts importants pour pallier à l’insuffisance de leur représentativité dans toutes les sphères de la vie publique. Des femmes Maires ou élues locales en Afrique ? Oui cela existe, mais combien et dans quel district du pays ? Ont-elles le moyen de faire correctement leur travail ? Leur faut-il travailler deux fois plus pour envisager de pouvoir renouveler leurs mandats ? La bataille, on en conviendra, est de longue haleine. Outre le fait qu’elles ne soit pas élues « spontanément » dans le paysage local, il leur faut souvent faire face à des mentalités qui restent assez conservatrices ; à cela s’ajoute parfois le manque de solidarité que certaines élues déplorent de la part de leurs « sœurs » qui ne sont pas toujours présentes pour les soutenir.
Femmes Africaines : UFFP vous aime !
Pourtant, elles sont là et très visibles et opérationnelles quand on veut bien leur donner les moyens. Le Panel sur les Mouvements de Femmes, modéré par l’Universitaire sénégalaise Fatou Sow, entourée de ses confrères du Kenya de Groots, dans le cadre d’Africités à Dakar, a permis de passer en revue les principales problématiques auxquelles elles sont confrontées quand elles veulent accéder au pouvoir local. Voici donc un petit tour d’horizon, à la rencontre de femmes élues et de maires, ou il est question d’échange d’expériences, et d’évoquer l’apport des Association de Femmes.
Les moments forts des interventions de Fatou Sow du Sénégal et Jane Anyango du Kenya.
Vue d’ensemble du Panel sur le mouvement des Femmes. Africités IV DAKAR décembre 2012
Fatou Sow Universitaire et Directrice internationale du Réseau Women Living Under Muslim Laws. : « les droits il faut se les arracher mais aussi les mériter !
Les Femmes africaines constituent une masse politique de plus en plus importante, a déclaré Fatou Sow. Un premier pas qui laisse augurer que des progrès ont été enregistrés s’agissant de la visibilité des femmes et de leurs droits en Afrique, même si les conventions écrites à l’égard de ces dernières ont mis du temps à être implémentées notamment en ce qui concerne la parité professionnelle. Et pourtant «des femmes ont participé à l’écriture de ces conventions,» a argué l’universitaire sénégalaise.
Après la sortie de la charte garantissant les droits des femmes au niveau de l’Union Africaine, il a tout de même fallu mettre près de dix ans pour l’appliquer : « il a fallu batailler à tous les niveaux, au niveau local, régional, national et international pour que les droits des femmes soient respectés » a ajouté Fatou Sow.
Dans ce protocole juridique malheureusement méconnus de beaucoup de femmes africaines, il y a des clauses contre les violences, la polygamie, l’accès aux droits économiques et politiques des femmes. Ce sont des thèmes qui ont été ratifiés par les Etats Africains mais n’ont jamais été appliqués ; un constat de fait qui perdure encore aujourd’hui.
La seule alternative face à ce vide paritaire ? Plus de femmes africaines dans les Mairies, les Parlements, les Ministères pour se battre. Et pour pouvoir pérenniser les femmes à ces fonctions, il leur faudra convaincre avant tout les femmes « vous ne m’aurez que si votre programme est digne et s’il tient compte des besoins des populations et des femmes » explique Fatou Sow. Pas de recette miracle, le tout sera de convaincre et dans la durabilité. Au Sénégal, deux femmes se sont présentées aux dernières élections présidentielles mais aucune d’entre elles n’a été retenue car leur programme était faible et a peu sollicité les femmes.
Notre consoeur Maire de la Commune de Kelo au Tchad
L’égalité entre les sexes condition sine qua non
Tant qu’elle ne sera pas atteinte, les femmes africaines seront considérées comme des citoyennes de seconde zone et leur présence dans les sphères communales et publiques restera anecdotique voire accidentelle.
Solidarité féminine et solidarité pour les catégories vulnérables avant !
Le constat, au vu des échanges des femmes élues présentes au panel, est qu’il n’y a véritablement pas de solidarité féminine. Aujourd’hui les femmes doivent se donner la main : «si vous connaissez les textes relatifs au code de la famille et les lois qui protègent les femmes, votre devoir est de partager cette connaissance » ajoute Fatou Sow. Des Associations comme le Radi au Sénégal, explique aux femmes dans les villages comment divorcer dans les bonnes conditions en connaissance de leurs droits, comment se défendre face à la violence conjugale. Il faut partager l’information pour protéger les femmes !
Notre consoeur élue locale du Niger
Il faut absolument briser le tabou de l’analphabétisme et du manque d’informations pour les femmes africaines qui n’ont pas eu la chance d’accéder à une scolarité et donc d’être informées de leurs droits.
Notre consoeur élue locale du Maroc qui a tenu à s’exprimer en arabe
C’est bien de cette solidarité dont la femme africaine a besoin et les Associations féminines en Afrique ont un rôle à jouer à cet égard. Au Sénégal, elles sont nombreuses et font un vrai travail de terrain auprès des femmes issues des catégories défavorisées et dans les zones rurales les plus reculées. Citons aussi l’exemple au Kenya de Groots, une institution qui travaille avec les citoyennes issues des bidonvilles, les femmes Grass Roots, pour leur proposer justement des solutions à un quotidien déjà si difficile.
Notre consoeur de la RDC venue de Bruxelles venue plaider la cause de ses soeurs victimes de viol
Car comme l’adage d’Africités le répète souvent, il faut parvenir à trouver des réponses locales aux problèmes locaux. Les contraintes des citadines des grandes capitales ne sont pas les mêmes que celles des populations entassées dans des abris de fortune. Et pourtant, il y a bien fallu, pour ces populations, s’adapter et développer leur économie informelle et leurs propres codes. Et les bidonvilles qui sont légion en Afrique fruit d’une démographie galopante et d’une urbanisation sauvage qui ne tient pas souvent compte de la réalité vécue par les plus pauvres, doivent entrer dans les arènes de réflexion et des politiques d’aménagement des territoires. Jusqu’à quand les « slums » bidonvilles continueront de faire partie du paysage urbain africain ?
S’il faut avant tout prendre en compte les problèmes de la Communauté dans leur globalité, il faut aussi s’attarder sur les problèmes spécifiques aux femmes.
Même à partir des bidonvilles le changement sociétal peut s’opérer. Quand on met les femmes dans les décisions politiques d’une ville on peut alors espérer des changements en profondeur de nos sociétés et faire ainsi qu’elles résolvent ou amoindrissent les problèmes et les stigmates qu’elles subissent. Quelque soit les conditions de vie, les femmes ont droit à la parole « c’est difficile quand on est pauvre et que l’on est issu d’un quartier populaire, on ne nous prend pas au sérieux » explique Jane Anyango.
Jane Anyango Kenya « il faut donner la voix aux femmes populaires » !
Groots Kenya international présente au panel sur les femmes, est une Organisation internationale qui travaille avec les femmes à la base « les Grass Roots »
Cette institution s’efforce de faire participer les communautés pauvres des bidonvilles aux prises de décisions politiques.
Les habitants des quartiers précaires à Nairobi sont en effet confrontés au quotidien aux difficultés de la vie. De nombreux problèmes comme l’assainissement, mais également l’accès à la terre, qui est redistribuée parfois de façon inégale et aléatoire par l’Etat kenyan.
Jane Anyango Kenya, une femme Grass Roots qui milite pour les droits de ses sœurs à Kibera. Kenya
Jane travaille à Kibera qui est l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique. Jane y vit aussi et s’attèle à la rénovation de ce bidonville en faisant en sorte d’impliquer les femmes des «slums» dans toutes les décisions qui vont être prises dans le réaménagement de Kibera.
Son cheval de bataille outre le réaménagement et l’assainissement, est de faire en sorte que les femmes grass roots puissent également générer des activités économiques pour se prendre en charge. Un travail qui se fait très laborieusement dans un contexte à la fois difficile et hostile aux femmes. Jane a contribué à construire des réseaux de femmes pour lutter contre toutes les contraintes et les normes sociales, même religieuses et politiques défavorables à l’égard des femmes Grass Roots.
En 2011 Jane Anyango a reçu un prix international nommé « les femmes de courage ».
Loin du stéréotype de la femme soumise, issue des quartiers populaires qui n’a pas de voix, Jane explique que de plus en plus de femmes grass roots ont leur mot à dire dans son pays, le Kenya. Vivre dans un bidonville n’est pas une fatalité inéluctable. Ces femmes ont appris à s’adapter, à créer des réseaux pour échanger des expériences, discuter des défis qui taraudent leur quotidien. Elles aussi demandent à ce que leur voix soit entendue « nous ne les voyons jamais dans ces forums d’échange, elles sont dans l’ombre, on ne les sollicite que pour danser dans les rues et animer les quartiers quand un chef d’Etat est de passage » explique la militante kenyane. Il faut écouter les femmes Grass Roots si nous voulons changer en profondeur le statut des femmes. Pour élaborer un projet de développement durable et paritaire on ne peut s’exonérer de leurs voix. Pour espérer changer une société, il ne faut pas partir du haut de la pyramide mais de son socle sociétal avant tout de la base, des racines.
Conclusion
La marche du développement durable et de la démocratie en Afrique est indissociable de la parité et de la bonne représentativité des femmes dans tous les secteurs de la vie publique dont les pouvoirs locaux. La lutte des femmes africaines à l’heure actuelle, doit déboucher sur la reconnaissance de leurs droits politiques et des principes d’égalité des sexes. Au lendemain des indépendances, les textes constitutionnels affirmant ces principes étaient nombreux mais entre le discours et le terrain, il y a un gros travail à faire. Aujourd’hui, le constat est que les textes internationaux et les multiples conférences internationales à ce sujet ne peuvent avoir un effet que s’il y a une réelle volonté politique. Le problème des droits des femmes en général est avant tout un problème de développement. Les textes législatifs nationaux ne suffisent pas et il faut une réelle prise en compte de leurs besoins.
La question que l’on doit se poser c’est : comment les africaines peuvent-elles prendre part de manière plus efficace à la gestion des affaires publiques si leur premier objectif est la survie ? Chaque fois que les femmes ont pu se faire entendre, c’est parce qu’elles étaient indépendantes économiquement.
La question des droits politiques des africaines ne peut être séparée des autres droits et libertés permettant une amélioration de leurs conditions de vie en général. Il y a véritablement une corrélation entre l’échec du développement et l’exclusion des femmes. Les femmes doivent avoir la possibilité d’être présentes là où les décisions d’impact général sont prises. Aujourd’hui, ce combat mené par les instances internationales et les ONGS, se doit d’être relayé par des Médias plus à même de comprendre leurs véritables enjeux et de leur donner une visibilité sans contrepartie. L’Afrique des droits des femmes est une réalité à construire et il nous incombe à nous de redevenir « Reines d’Afrique » comme du temps de l’Antiquité !
de gauche à droite : la Maire de la Commune de Kelo du Tchad. Fériel Berraies Guigny. Présidente Association United Fashion for Peace. France/ Tunisie
Des femmes comme feu la prix Nobel du Kenya en 2004 Wangari Mathaai ou encore la première femme président Africaine, Ellen Johnson Sirleaf et sa consœur Leymah Gbowe toutes deux nobélisées ou encore Graca Machel, l’épouse de Nelson Mandela sont des modèles à suivre, des « rôle models » qui peuvent aider nos sœurs africaines à se battre et à défendre leurs droits.
Les femmes africaines se doivent d’être plus solidaires entre elles à partir du moment où elles ont des objectifs justes et durables à atteindre. Il faut véritablement casser le stéréotype de la non solidarité féminine.
En faisant le bilan depuis ses vingt dernières années, Fatou Sow est consciente qu’un grand pas a été fait : un travail a été fait sur le langage pour faire en sorte d’expliquer aux femmes leurs droits ; des tabous ont été brisés comme la question de la planification familiale, le droit de disposer de son corps, de décider du nombre d’enfants ; de se protéger contre la violence domestique… Tout cela était impensable il y a quelques années.
Mais tout de même « on peut mieux faire ». Aujourd’hui le concept genre s’est banalisé mais la pratique est encore en construction et le véritable combat se situe aussi au local.
Construisons cette Afrique au féminin de demain la main dans la main !
Bravo mesdames , continuez vous pouvez mieux faire: parité dans l’éducation, formation emploi + Autonomie économique + Accès au crédit ,à la technologie et au marche … Courage!