« Au printemps j’aurais 15 ans si je suis encore en vie », écrivait Polina en 1999 dans son journal intime. Le récit d’une « adolescente tchétchène », dont la vie ne fut qu’un trauma récurrent sous les bombes.
Polina aujourd’hui a grandi, elle est devenue une jeune femme pleine d’espoir et de combativité
Polina Jerebstova est une rescapée, une jeune fille devenue aujourd’hui, une jeune femme résiliente, mais une femme marquée par son histoire et celui d’un pays massacré. Ecrire pour survivre et donner un sens à sa trajectoire accidentée, ce livre comme un talisman allait devenir son oxygène et son compagnon, le gardien de ses terreurs.
Venue en France pour présenter son livre ( éditions Books, France Culture 2013), UFFP a pu s’ entretenir avec elle, parler de la mémoire de ce qui fut, de ce qui n’est plus et de ce qui doit survivre malgré les tragédies humaines de notre siècle.
Elle est la preuve que face à la vie, rien n’est impossible, que l’endurance des femmes et notamment de celles qui sont enchaînées par les sociétés machistes et conservatrices de notre époque,est sans pareil quand on a la foi et la passion de vivre.
Pourtant son quotidien fut un long purgatoire sous les conflits, alimenté par la haine et l’extrémisme religieux et les tensions interethniques. Une survie quotidienne pour échapper au froid, à la faim, aux tirs d’obus. La vie que Polina Jerebstova décrit jour après jour dans ce journal aujourd’hui publié dans plusieurs pays (Le Journal de Polina, une adolescence tchétchène, Books Editions / France Culture) est intenable et pourtant il est le témoin d’une tragédie qui avec le temps, devient un fait divers historique.
« Les combats font rage ! Un feu d’artifice mortel. Des lingots incandescents rouge sang se détachent sur le fond gris du ciel. Les obus sont blancs et orange. Les balles «dorées» scintillent. Il y en a pour tous les goûts ! » décrit Polina dans ce journal qui lui sert de confident. « J’ai pu rester saine d’esprit car je pouvais coucher sur papier ce que je vivais, explique aujourd’hui la jeune femme.
Entretien avec Polina :
1) Aujourd’hui vous êtes en France pour parler de votre histoire et de votre livre, cela vous fait quoi ? Mon vécu a de l’importance je le sais et il va au delà de ce qui s’est passé en Tchétchénie. Un peu partout, il y a des guerres terribles qui se passent dans le monde, notamment actuellement en Syrie. De nouveau, les femmes et les enfants sont les cibles et les otages de ces conflits. On s’attaque toujours aux populations faibles, quelque soit la nature du conflit : interethnique ou religieuse. Et cela est à chaque fois provoqué par les gouvernements des pays en question.
2) Face aux fatalités géopolitiques que faire pour faire face, la question et la réponse n’est pas simple ?! C’est extrêmement difficile de répondre à cette question, moi je suis née et j’ai grandi en Tchétchénie et probablement comme dans tout l’Orient, les jeunes filles n’ont absolument aucune prise de leur destin. Elles ne décident pas qui elles vont épouser, est ce qu’elles pourront ou pas continuer leurs études ? et quelles études elles feront, si jamais on leur donne cette possibilité, elles doivent obéissance à leur famille et ce sont les hommes qui décident pour elles.
3) Séparer la politique de la religion, c’est une façon de libérer les carcans sociétaux sur les femmes non ? j’ai grandi dans une famille multiculturelle donc je connais bien la religion musulmane et orthodoxe et je dois vous dire que ce sont en fait les guerres qui exacerbent énormément les tensions interethniques. Ce sont les guerres et les conflits qui font monter l’intégrisme et l’extrémisme de tous bords. En Tchétchénie auparavant on avait un pays quié était multiethnique et multiculturel. La religion de tout le monde était respectée, c’était une richesse formidable que cette cohabitation. Mais quand la guerre a commencé, la haine interethnique s’est propagée. Et beaucoup de personnes ont utilisé le prétexte d’une guerre sainte pour tout simplement s’adonner au pillage, voire même au meurtre et au viol !
le livre qui fut le témoin des horreurs de ce qu’a vécu son pays alors, aujourd’hui son compagnon pour garder la mémoire de ce qui fut…
4) Le terrorisme est souvent assimilé à l’Islam dans le Monde à tort parfois et non à raison, mais aujourd’hui le printemps arabe a aussi amené le pire pour les femmes de la région, quel est votre regard ? Poutine est le seul à faire le contre pied pour soutenir le régime d’ASSAD en contraste, vous en pensez quoi ? dans mon pays, il faut se le dire le Président Poutine a causé cette guerre terrible contre la population civile, indépendamment de ses origines ethniques. Cette guerre fut un véritable massacre, périrent beaucoup de tchétchènes, de russes et les bombes russes n’ont fait absolument aucune distinction entre les régions ou les ethnies. Poutine pour moi, est un criminel de guerre et je ne comprends pas que l’on puisse cautionner encore ce monsieur qui veut aider un autre dirigeant qui n’hésite pas à gazer les enfants de son propre peuple en Syrie !
5) Pourtant les alternatives démocratiques dans notre région restent difficiles, nous avons l’impression que lorsqu’on chasse une dictature, une autre plus grande risque de prendre racine ? oui ce n’est pas quelque chose de facile, que d’installer la démocratie.les populations subissent la plupart du temps et nous n’avons bien sur aucune prise sur cela. C’est très difficile de se défendre et de pouvoir faire autrement. Les guerres nourrissent le pire et deviennent des prétextes pour commettre le pire.
6) Ce livre est important, il a été douloureux mais en même temps il vous a libérée ? c’était important pour moi d’écrire à l’époque où je l’ai fait, mais je ne pensais pas qu’ un jour, j’allais le publier. Dans ma famille, c’est une tradition pour nous que d’écrire.
7) Vous avez commencé à l’écrire à quel âge ? à neuf ans et j’ai continué ensuite adolescente, jusqu’aux premières années du mariage. Et on avait l’habitude ensuite de le lire en famille, c’est ainsi que j’ai commencé.
8) Puis la guerre a éclaté et c’est devenu un peu comme votre bouclier ? oui quand la guerre a éclaté, ce récit, ce livre est devenu comme une nécessité de vie. Et mon grand père qui avait péri sous les bombes avant de mourir à l’hôpital m’avait dit que c’était très important de pouvoir marquer tout ce que je vivais et ressentais.
9) Jamais vous n’auriez imaginer le publier ? absolument pas, c’était simplement devenu au fil des années mon meilleur ami et d’ailleurs, même aujourd’hui je continue à écrire même aujourd’hui que la guerre est finie.
10) Quel messages aux femmes qui vivent ou on vécu des drames comme vous ? je voudrais leur dire d’être fortes car la guerre demande beaucoup d’endurance et que c’est précisément quand ont vit l’atrocité de la guerre que l’on réalise combien notre vie est suspendue à un fil. Mais je veux quand même envoyer ce message d’espoir, car on peut si Dieu le veut survivre à des horreurs et essayer de se reconstruire ensuite !
merci Polina