Par Fériel Berraies Guigny
Femmes et Islam européen : égalité des droits, discrimination, terrorisme, autant de thématiques d’actualité et qui abondent dans certaines incompréhensions collectives. Pourquoi le fait et l’être musulman en Europe, abondent t-il de clichés ? Comment l’européenne musulmane est elle perçue et surtout quel regard a t-elle de sa propre condition ? A cheval entre deux cultures, deux pays, deux coutumes, comment vit elle au quotidien son islamité ? Qui sont donc ces jeunes femmes d’un type nouveau, qu’elles soient voilées ou pas, qu’est ce qui les caractérise ? Et quelle et leur « vérité » ? UFFP a voulu lever le voile sur certains tabous et surtout s’interroger sur le pourquoi de la perdurance de certains clichés ? Nous avons rencontré pour se faire, Amel Boubakeur, spécialiste de la question pour parler des dangers des fausses représentations et de comment bien vivre sa religion en terre de démocratie et de laïcité, quand on est une européenne musulmane.
Biographie Expresse de Amel Boubekeur :
Amel Boubekeur est chercheur associée au Centre Carnegie Moyen Orient à Beyrouth. Elle fut avant cela, à la tête du programme sur l’Islam européen au Centre des études européennes de Bruxelles. Elle est également, chercheur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Elle a enseigné à l’Université de Stanford à Paris. Spécialiste des politiques nord africaines et des relations euro-arabes, sans oublier de l’Islam en Europe. Elle est consultante auprès de nombreuses instances internationales. Parmi ses publications on compte « European Islam: The Challenges for Societyand Policy (with Michael Emerson) (CEPS/Open Society Institute, 2007) et Whatever Happened to the Islamist? Salafism, Heavy Metal Muslims and the Lure ofConsumerist Islam (with Olivier Roy) (Hurst/Columbia, 2008).
Entretien :
1/ Quels sont les «clichés » dangereux pour la femme musulmane d’Europe ?
Il faut comprendre que si le lien femmes et islam continue de susciter autant de passions c’est parce qu’il est le révélateur des changements sociaux que nous sommes en train de vivre et que nous avons parfois du mal à accepter. Par exemple le cliché de l’occidentale dépravée et anti-religieuse sert a rassurer certains musulmans qui s’inquiètent des changements que la modernité et la globalisation apportent dans le monde arabe et de la même façon le cliche de la voilée soumise aux hommes de son « clan » sert à nier l’émergence de jeunes femmes musulmanes européennes pour qui la religion est un élément libérateur.
Je dirai que le trait commun de ces clichés lorsque l’on parle de femmes et d’islam, et on en parle très souvent, c’est que l’on a beaucoup de mal a donner la parole aux femmes musulmanes elles-mêmes. On ne les entends pratiquement pas et on ne les voit pas beaucoup dans les médias non plus, du moins en Europe. On les soupçonne toujours d’être incapables de donner du sens a leurs choix, qu’il s’agisse de porter ou de ne pas porter le voile par exemple. On expliquera toujours d’une manière ou d’une autre qu’elles sont influencées par une idéologie fabriquée par des hommes. L’apparence devient ainsi le lieu de tous les clichés. Si les musulmanes ne portent pas le voile c’est qu’elles sont totalement influencées par les valeurs consuméristes de l’occident, si elles le portent c’est qu’elles ont été endoctrinées par un mouvement islamistes aux visées liberticides. Dans un cas comme dans l’autre ces clich2s sont très loin de la réalité et des multiples raisons qui poussent les femmes musulmanes en Europe à pratiquer certains aspects ou non de leur religion.
2/ Quel est le rapport à la religion qu’entretiennent aujourd’hui les « européennes » d’origine arabe ou africaine ?Il ne diffère pas beaucoup de celui des européennes qui ne sont pas de culture musulmane. La grande majorité ne pensent pas que la religion doit être un obstacle dans leur vie, et souhaitent avoir une vie active, choisir leur époux etc. Cependant il est vrai que leur spécificité se trouve sûrement dans l’histoire de leur installation en Europe. C’est une population nouvelle qui ne s’accommode pas de la place donnée à la femme dans les sociétés que leurs parents immigrés en Europe ont quitté, mais qui ne s’accommode pas non plus complètement de la place donnée aux femmes dans certains pays européens. Ce qu’elles rejettent souvent dans le modèle des sociétés traditionnelles du monde musulman c’est l’absence de choix individuels pour les femmes concernant leur vie personnelle ainsi que l’inégalité de droits face a l’emploi, la sécurité, la garde des enfants etc. Mais elles sont souvent peu concernées par les combats pour les droits des femmes dans le monde musulman. En tant qu’européenne elles se sentent bien entendu beaucoup plus concernées par la manière d’améliorer leur vie quotidienne en Europe. Et la également les critiques portent sur l’inégalité dans les salaires, sur le plan politique, les violences conjugales et plus particulièrement sur l’impossibilité de vivre sa religion, notamment pour celles qui sont voilées, de vivre leur religion dans la sphère publique. Parce qu’elles sont nouvelles et dérangent l’ordre établi au sud comme au nord, ces demandes sont souvent mal comprises, ou comprises comme voulant provoquer une rupture avec leur environnement. C’est une composante nouvelle de la population européenne dont il faut désormais prendre en compte les spécificités. Il est grandement nécessaire de mieux entendre leurs demandes afin de comprendre dans quelle mesure la religion pourrait jouait un rôle positif dans l’acquisition de leurs droits.
3/Qu’en est il de la discrimination ?
Une autre malheureuse spécificité connue par les musulmanes européennes a également trait à la question de la discrimination. Parce qu’elles cumulent plusieurs caractéristiques que l’on pourrait qualifier de spécifiques, les femmes musulmanes européennes sont beaucoup plus sujettes à des comportements discriminatoires que les autres (sur la base du sexe, de l’origine sociale et culturelle, de la religion etc). Elles peuvent ainsi être discriminées du fait qu’elles soient des femmes, mais aussi des musulmanes, voire des musulmanes voilées, des migrantes ou filles de migrantes et donc plus défavorisées socialement, parce qu’elles appartiennent à un groupe ethnique minoritaire etc.
Le voile paradoxalement est perçu comme un signe de radicalisation, mais cela est avant tout une forme de stigmatisation qui a entraîné ensuite à la radicalisation. Mais la vraie discrimination se trouve en fait au quotidien : dans les hôpitaux, les écoles, face à la police ou à la justice. Autant de raisons pour faire monter rage et frustrations.
4/ Quelle est la place de la femme dans les mouvements islamistes aujourd’hui ?
Le rôle des femmes dans les mouvements islamistes devrait être perçu selon une approche sociale avant tout.
Elles sont très actives dans les associations islamiques et dans les mouvances de « reislamisation » très influencées par les discours des prédicateurs musulmans notamment s’agissant du conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak, l’affaire des caricatures. Mais leur rôle reste limité, s’agissant des mouvances politiques radicales. Le seul rôle qu’on pourrait leur attribuer serait par rapport à certains discours féministes s’agissant des droits femmes, notamment quand elles sont victimes de l’Islam radical ( mariage forcé, mutilations génitales etc)
5/ Comment faire pour « neutraliser » l’impact des mouvances dures comme le wahhabisme sur les musulmanes en Europe ?
La participation des femmes par rapport à ces mouvements vient du fait de l’absence d’une élite musulmane dans les sphères publiques. Toute une génération nouvelle d’adolescents a été témoin de l’échec des aînés à faire de l’Islam un vecteur d’émancipation. En conséquence, les femmes vont recourir à des mouvements non politiques pour par ex débattre de la question du port ou non du voile. Leur radicalisation sera plus politique que religieuse, mais cela ne signifie pas pour autant, le recours à la violence.
6 / Peut-on dés endoctriner certaines femmes qui subissent les violences et qui commettent aussi des violences suite à ces idéologies dures ? Leur rapport a la radicalisation et leur rôle pour prévenir le terrorisme ?
Contrairement aux hommes, la présence de femmes dans les mouvements d’Al Qaeda est rare. Pour deux raisons : ce qui intéresse en général les femmes musulmanes ( salafi ou islamiste) c’est d’en savoir un peu plus sur leurs droits en tant que musulmane. Mais les mouvements djihadi ne fournissent aucune information ni débat théologique à cet effet. Par ailleurs les discours d’Al Qaeda excluent spécifiquement la présence de femmes dans l’armée combattante.
7/ Les femmes sont elles des agents de contre radicalisation?
Le fait de penser que les femmes sont moins susceptibles d’être radicalisées est faux. Si elles sont moins présentes, c’est par faute d’opportunités. Elles s’engagent moins, car elles ont la responsabilité d’une famille, d’enfants, elles sont considérées par ailleurs comme de piètres combattantes, donc on ne les invite pas à participer ni dans les sphères politiques ni dans le terrain des combats.