Par Fériel Berraies Guigny
Stéphane Tourné » l’africain »
texte DR UNITED FASHION FOR PEACE. ALL PICTURES ARE THE COPYRIGHT OF STEPHANE TOURNE
De la mode au monde de l’image, à l’engagement militant pour préserver le Continent africain, pour Stéphane Tourné photographe, il n’y avait qu’un pas à franchir. Hasard ou destin professionnel, l’Artiste a fait de son art, une voix engagée, pour cette Afrique qu’il a côtoyé et caressé depuis plus d’une décennie.
Stéphane Tourné en action
Ses collaborations avec des ONGS internationales vont l’initier à ces problématiques endémiques qui taraudent notre Continent : la préservation de l’environnement, le commerce équitable. Au travers de son objectif, il a su saisir des instants forts, des messages plus parlants que certains discours politiques ou propagandes écologiques. Lui qui n’a eu de cesse de redécouvrir l’essence et l’âme de tout un Continent. Nous l’avons rencontré durant la 10e Fashion Week de Dakar, toujours fidéle au poste amoureux de la mode et sachant sublimer ces images.
Nommé pour la seconde fois en tant que meilleur photographe africain par les trophées de la mode africaine. Pour parler de cette Afrique du cœur, où il a décidé de poser bagages, heureux papa depuis quelques mois, nous vous faisons découvrir un parcours exemplaire, un homme au grand cœur passionné par son métier et qui n’hésite jamais à donner pour la bonne cause, même si le métier est de plus en plus difficile !
EXPO ICI L ESPOIR starring IMANE AYISSI
Bio-Expresse :
Né en Algérie avant l’indépendance, il est rapatrié avec toute sa famille en France. Il grandit à Grenoble. En 1989, il s’installe à Paris mais adopte rapidement une vie de globe trotter et voyage à travers le Monde. Il entame une première carrière de Mannequin, mais s’initie aussi rapidement à la photo, un moyen pour lui d’exprimer sa soif d’ailleurs et son envie de découvertes. En 1999, il découvre l’Afrique et succombe à son charme, il s’installera 7 ans au Sénégal. Il évoluera alors entre la mode et l’humanitaire, multipliant des collaborations avec des magazines internationaux mais aussi des ONGs dont OXFAM. A la même période, il devient le photographe officiel du Président Wade, qu’il suivra photographiquement plusieurs années durant. Une des commandes du président sénégalais, a fait l’objet d’une exposition auprès de l’ UNESCO en 2006 sur les arts et l’artisanat sénégalais. Aujourd’hui, Stéphane Tourné expose dans le monde entier. Après avoir quitté l’Afrique, il s’installe quelques années en Californie pour de nouveaux challenges à venir. Mais il retourne très vite au p ays de la Teranga, car Mama Africa est irrésistible. Deux ouvrages sur son parcours artistique et réunissant une grande partie de ces œuvres ont vu le jour en 2008. Deux expos avec Ici l’Espoir et Métissages. Des prix qui reconnaissent son talent en Afrique et des couvertures et des éditos de mode pour les plus grands féminins panafricains.
Entretien :
De la mode à l’humanitaire, quelle est la transition pour vous ?
La transition, si transition il y a, se fait d’elle-même. C’est la reconnaissance de mon travail en publicité et mode qui m’a permis d’être approché et de travailler avec des ONG telles qu’Oxfam, Unicef ou Unesco.
Les enfants de Mama Africa by Stéphane Tourné
Après, c’est moi qui fait l’image, c’est mon regard. Alors j’aborde chaque sujet avec mon propre point de vue et au final, je ne suis pas sûr qu’il y ait une différence énorme entre mes images de mode, de pub ou humanitaires.
Hormis, évidemment, les sujets et les messages à faire passer.
Mais l’approche reste basée sur l’esthétique, les regards, le cadrage, la complicité qui doit exister entre le modèle et le photographe.
Parlez-nous de votre « Afrique »
L’Afrique et les Femmes by Stéphane Tourné
Mon Afrique ?
Mon Afrique, c’est celle que j’ai côtoyée pendant sept années passées au Sénégal. Avec quelques séjours au Cameroun, au Burkina Faso, au Bénin etc.
Ce qui me parle, ce sont les gens. Alors mon Afrique, c’est une Afrique faite d’accueil, de sourires, de gentillesse.
J’ai rencontré des gens qui ont de très grosses compétences et qui travaillent avec d’autres qui eux les freinent. On navigue sans arrêt entre envie d’avancer, d’évoluer et respect des traditions.
Parfois, on ne doit même pas montrer une épaule ou un décolleté alors que les filles se promènent dans des tenues très courtes. C’est dur pour un occidental de comprendre tout cela. Nous n’avons pas la même culture et là-bas les cultures sont très diverses, alors ont se retrouvent souvent en contradiction avec l’un ou plusieurs de nos interlocuteurs.
Mais malgré ça, l’Afrique est là, dans mon cœur, pour toujours.
Vous séjournez au Sénégal, parcouru divers pays du Sud, comment s’est enclenchée en vous la fibre du développement durable ?
J’ai découvert ce que sont les problèmes du commerce équitable et du développement durable lors de ma collaboration avec Oxfam America.
Ils ont souhaité me rencontrer pour la réalisation des images de la campagne « make trade fair » et j’ai tout de suite adhéré.
C’était super intéressant, un photographe par continent était choisi, avec une maquette à respecter, un travail avec des artistes, c’était génial !
J’ai fais cela de tout mon cœur, bénévolement.
L’Afrique entre modernité et tradition by Stéphane Tourné
Aujourd’hui vous militez encore et toujours pour la juste reconnaissance du commerce équitable, les clichés de votre ancienne exposition sont toujours présents dans l’esprit font ils oeuvre de Mea Culpa encore aujourdhui ?
Non, pas du tout.
En premier lieu, il y a eu cette fameuse campagne. Et puis j’ai voulu aller plus loin. Envie de communiquer sur ce problème et les conséquences de ce commerce non équitable, mais aussi envie, besoin même, de montrer un travail plus personnel que ce que l’on me commandait. Un travail sur les corps, en lumière naturelle et, j’y tiens, sans retouche aucune.
Mea Culpa ? Non !
Je ne donne pas d’argent, mais je donne de mon temps et de mon savoir-faire, je préfère.
Parlez-nous de votre collaboration avec Oxfam International ? Le reportage de guerre en Afrique vous tente t’il ?
Wouaw !!!
Les gars qui font ça les ont bien accrochées !
Je suis admiratif ! J’ai toujours pensé que si, un jour, je n’ai plus rien à perdre, ça pourrait être un choix. Mais je suis trop passionné par l’image pour prendre soin de moi, je ne durerai certainement pas longtemps dans cet exercice…
Quant à ma collaboration avec Oxfam, elle a commencé avec cette campagne pour un commerce équitable, puis s’est prolongée avec une autre très belle campagne pour le contrôle des armes. Pour cette seconde campagne, j’étais libre et on a décidé de travailler en noir et blanc, toujours avec des artistes. Dans le même temps, des films étaient réalisés. Alors, je prenais le modèle en photo pendant quatre ou cinq minutes. J’avais immédiatement ce que je voulais. Quand vous braquez une arme à feu sur la tempe de quelqu’un, même s’il s’y attend, il se passe des choses dans sa tête, dans ses yeux. Pour moi, il suffisait de les saisir.
Vous qui avez évolué dans le monde de la mode, à quoi attribuez-vous la non reconnaissance de la mode africaine en Europe ?
Tout d’abord, je crois que c’est très difficile d’obtenir la reconnaissance en Europe et tout particulièrement en France. Plus encore lorsqu’il s’agit de milieux très fermés comme la mode. Ce sont des milieux qui génèrent beaucoup d’argent et les portes sont fermées. Ceux qui s’y sont fait une place tentent de se préserver de quelque concurrence que ce soit. C’est pareil dans de nombreux domaines.
Ensuite, il y a des règles, qui sont les règles du marché, telles que le renouvellement des collections, chaque saison, la qualité des finitions, la capacité à créer, bien sûr, mais à fabriquer et à livrer dans des délais très courts.
Il y a en Afrique, une quantité incroyable de stylistes talentueux, mais ceux-ci n’ont souvent qu’un atelier ou tout est monté à la main, ce n’est pas simple.
Bien sûr, il y a les incontournables tels qu’Imane Ayissi ou Alphadi qui eux ont su répondre aux exigences, à la remise en question, à chaque nouvelle collection. Créer de nouveaux modèles, une véritable ligne. Et là, je parle de créateurs, pas de marques de vêtements qui nécessiteraient des usines et un vrai réseau de distribution.
Que pensez-vous de la présence limitée des blacks models sur le marché ?
Je n’en pense pas grand chose, moi qui travaille essentiellement avec des modèles blacks.
Il y a peu de filles de couleur sur les podiums, à moins qu’elles ne soient exceptionnellement belles. Mais vous remarquerez qu’il n’y a pas plus de fille d’Afrique du nord, d’Asie… Et que pensez-vous de la présence limitée de modèles qui ressemblent à des femmes ? Avec ces formes ?
Tout cela n’est à mon sens qu’effet de mode, de là à dire qu’il y a de la ségrégation sur les podiums, je ne sais pas.
Dans les grandes agences Parisiennes, vous allez trouver entre deux et quatre blacks pour cinquante filles blondes à la peau blanche.
Dans la publicité, il y a un annonceur qui vise une cible et il semble évident que cette cible, en Europe, ce n’est pas les gens de couleurs. C’est une question de pouvoir d’achat, tout simplement.
De mon côté, en sept ans de publicité en Afrique, on ne m’a pas demandé de photographier des blancs…
C’est la loi du marché, c’est dommage.
Il semble qu’il y a plus de travail partout ailleurs qu’ici. Aux Etats-Unis, le pouvoir d’achat des noirs est acquis, mais pas si loin, en Angleterre, en Allemagne, il y a plus de demande pour les blacks et les métisses.
Je pense que la beauté est universelle et qu’effectivement on devrait voir plus souvent des filles de différentes origines en couverture et rédactionnels des magazines féminins et de mode. Sans pour autant leur mettre des plumes ou de la peinture sur le corps.
Il faut que ça change, la rue est métissée mais ce n’est pas encore le cas dans les magazines, le cinéma etc. Même si l’on tente de nous le faire croire en politique, ou là, par contre, ça ressemble à un casting.
Mais, vous savez, les rares fois (une fois par décennie) ou les magazines mettent une black en cover, et ce ne peut être qu’une star, ils réalisent des ventes catastrophiques.
Ce qui veut dire que les mentalités des lectrices et des consommateurs doivent changer.
Votre expo, il y a quelques années « ici l’espoir » mélangeait chic éthique, prise de conscience écolo, comment êtes-vous parvenu à sensibiliser le public ? United Fashion for Peace vous parle donc ?
Là est la question que je me pose encore. Suis-je arrivé à sensibiliser le public sur le sujet ?
Cette exposition fut un véritable succès auprès du public et de la presse. C’est vrai que les journalistes s’intéressent à ce qui m’a amené à ce travail, le mélange des matières avec la peau, le message que j’essaie de faire passer à travers ces images.
Mais le public est sensible à l’image finie, la beauté des formes, le contraste, la force, et chacun y trouve ce qu’il est venu y chercher.
De ce point de vue, j’ai reçu des témoignages extraordinaires.
Après tout, le commerce équitable, la pollution due au plastique sont à l’origine de ces images destinées aux galeries et à entrer chez les gens en tant qu’œuvre. J’espère qu’au-delà le message passe. « Ici l’Espoir », c’est l’espoir d’une prise de conscience. Oui UFFP me parle absolument et il faut réellement encourager ce genre d’initiative la mode durable qui a du cœur cela existe !
Sinon cela fait quoi d’être nommé encore une fois encore comme le meilleur photographe africain ? cela fait beaucoup de bien et qu’importe les critiques ceux qui disent que je suis africain par adoption, car l’africanité c’est avant tout dans le cour, son Afrique on l’a dans les tripes ou pas !
Tes prochains projets?oui je suis sur plusieurs plans, un projet d’expo à Dakar pour la fin de l’année. Cesera sur la beauté. Celle que l’on a sous les yeux et que l’on ignore, que l’on ne regarde pas.
http://www.stephanetourne.com/
Un regard et un discours lucides et sincères, des photos à la fois esthétiques et porteuses de sens. What else?