Note de lecture
Tarmac des Hirondelles
Georges Yemy
Roman
Editions Héloïse D’ Ormesson
287 pages
19 Euros
Conte initiatique et cruel qui nous guide par delà l’enfer de la guerre, dans les yeux d’un enfant soldat. Des yeux inondés par trop de sang et de non sens. Voilà ce qu’inaugure ce titre pourtant rêveur et poétique. Derrière ce tarmac, gît une vision presque maléfique, sortie du tréfonds de l’âme noire de celui qui a ôté la vie. Une vision pourtant nostalgique d’une nuit d’été africaine, pour l’auteur, qui en a fait le titre de son roman. Hors sujet pourrait on penser, car comment accepter que là où tout n’est que beauté et pureté, le sang et la haine de l’autre, vont souiller les pas d’un enfant perdu ?
Un enfant à qui on a volé son enfance « … Je n’ai connu que des choses d’adultes, leurs mots et leurs passions. Je suis de nos jours, un homme encore jeune, mais déjà cassé » p 13
Quand la réalité crue de la machine de guerre broie l’enfance, alors on ne croit plus à son humanité. Abandonné dans les limbes, Muna se noie, à mesure qu’il raconte sa descente aux enfers, hachant et broyant tout sur son passage. Quand les repères sont disqualifiés, les valeurs morales atrophiées, tout n’a plus de sens sauf le sang « … Ils nous fallaient … être des lions. La prédation en mouvement » p15
Et Muna troc l’école contre une carrière de tueur, d’exterminateur et de violeur. Elevé au rang de bête, il tue sur son passage, sans peur ni état d’âme, convaincu de sa mission « … je suis le fils des ancêtres, le fils des pères morts mais vivant » P 37
Il incarne tous ces enfants endoctrinés par le monde irrationnel de l’adulte et de la violence. L’endoctrinement des pairs est plus fort que tout devant la vulnérabilité de ces âmes perdus par la guerre , « … les responsables placides regardaient le suicide des chérubins » P 41
Mais comment se défaire de ce substitut de père, qu’est devenu le chef de guerre, comment retrouver cette famille perdue, cette creuse illusion qu’est l’identité et le sentiment d’appartenance à une structure sociale ?
Alors c’est plus fort que tout, « … Le sergent devient notre père » P41
Cela se passe au Libéria, au Soudan, en Somalie, dans ces enfers où l’on continue d’instrumentaliser l’enfance. L’anti héros est pourtant conscient de ce mal qui fait de lui un monstre
« ils avaient fait de nous des bêtes » p 16 et de là naissent les pires transgressions comme manger des restes humains, comme pour mieux se prouver cette insensibilisation et cette emprise qu’il a sur l’autre. Un enfant paradoxal dans sa vulnérabilité et sa puissance carnassière. Le récit est d’une terrible crudité, à l’image de la guerre, qui déshumanise et diabolise l’autre pour mieux exterminer. De son humanité Muna ne conservera rien, si ce n’est la nostalgie d’une amitié perdue, ou le réconfort éphémère du sein d’une captive, qui le fait parfois ramener à sa carapace d’enfant qu’il n’a jamais cessé d’être au fond. Car comme l’explique Georges Yemy dans la plus grande des noirceurs, il y a toujours cette lumière d’une rédemption possible. Toucher le fond, serait peut être alors, l’ultime étape pour pouvoir rebondir. La résilience en quelque sorte et cette incroyable foi en l’humanité qui ont fait que Georges Yemy, l’auteur, n’a jamais cessé d’espérer en de meilleurs lendemains. Rien n’est absolu, rien n’est irrémédiable comme la vie qui prend mais qui sait aussi, parfois donner.
Alors si l’on réfléchissait on comprendrait alors que de tout cette assurance arrogante, gît une incroyable solitude morale, que nous percevons à travers les lignes. Elle transpire chez Georges Yemy, il en a fait son credo littéraire. Et ce jeune héros devient une partie de lui même ; un enfant enfermé et passionnément épris de liberté qui a du grandir trop vite.
Paradoxe qu’est l’humanité, c ar la solitude, le rejet, l’exclusion Georges Yemy les a connu enfant, et jeune adulte, il a su les terribles tourments de l’absence maternelle ; la nécessité de se forger sa propre identité, de se construire par soi même.
Yémy écrit à fleur de peau, chaque mot tranche comme un rasoir, la violence est sauvage et sans détour, le récit met mal à l’aise par trop de réalisme cru. Mais la plume est enivrante, passionnelle, elle séduit car sait se parer des plus beaux atours tout en se jouant de l’âme.