Voyage à travers la carte postale ancienne, en Tunisie, Algérie et le Maroc, tout un périple du souvenir que l’historien Philippe Lamarque nous propose au travers de trois magnifiques albums parus aux éditions HC. Un retour dans le passé colonial de ces trois pays du Maghreb qui continuent de faire rêver certains : anciens pieds noirs, aux enfants des générations de l’immigration qui n’ont pas connus « l’Afrique du Nord » de leurs aïeux.
Une Afrique du Nord en cartes postales, figée dans le temps, qui a gardé son cachet authentique si chère aux amoureux de l’Orientalisme.
Nous avons rencontré l’historien pour parler de sa démarche, lui- même natif d’Alger, il nous a confié que ce formidable voyage à travers le temps a été pour lui un véritable pèlerinage de l’affect.
Entretien avec Philippe Lamarque :
1/ Parlez nous de vos trois ouvrage, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc d’antan ? C’était un vieux rêve, je voulais voyager dans l’ensemble de l’Afrique du Nord. Chacun de ces pays qui la compose, a une identité très cloisonnée. Mais il y a également, quand on les parcoure, une identité d’ensemble. L’unité de cet ensemble existait déjà dans l’histoire, notamment à l’époque romaine et punique. Il y a une âme commune malgré des nuances considérables. Cette âme transcende de très loin, l’image que l’on pourrait lui donner aujourd’hui d’une sorte de revendication arabo-islamiste et qui n’est que contingente, par rapport à une identité qui est beaucoup plus ancienne.
2/ Votre perspective est historique et les cartes postales sont votre référence, sur fond d’orientalisme ? Quels étaient les mythes récurrents de l’époque s’agissant du Maghreb ? Oui elle est en effet historique, mais en même temps, c’est aussi le voyage simple de Candide. Avec une dimension ethnographique pour s’intéresser à tout ce qui passe, à toutes les communautés. L’idée est de faire revivre cette époque des Cartes postales qui ont permis d’immortaliser une magnifique période multiraciale et multiculturelle. Et d’une certaine façon, ce flash back est un rappel de ce qui n’est plus. D’une certaine façon, nous ne pouvons que regretter cette époque. Même, si ces sociétés étaient aussi porteuses d’une dimension qui fait peur « l’ordre colonial » Cela a néanmoins fait parti de l’Histoire.
3/ Parlez nous de cette collection de cartes postales, à l’origine de ces trois albums
Je suis moi même, un collectionneur. Mais l’éditeur a aussi proposé ces proches choix, pour une cohérence éditoriale, une sorte d’homogénéité du produit, si je peux m’exprimer ainsi. Mon rôle a été de mettre en valeur ces visuels au travers d’un texte qui puisse réussir une gageure quasi impossible, consistant à s’incliner devant les « vedettes » visuelles et en même temps, proposer au public un texte d’un qualité syntaxique le plus soigné que possible.
4/ Cet art de vivre sublimé en un Eden oriental, marquait il un réel intérêt pour les populations dites indigènes ou étaient ils juste accessoires ? L’orientalisme reste le thème majeur et en même temps cela reste aussi une contradiction. L’Orientalisme a plusieurs définitions mais je vous en fais grâce, d’autant qu’il y a l’orientalisme du « Nord » et celui du « Sud » Mettons nous toutefois, dans la « peau « du photographe, celui du début du 20es. Une époque qui ne connaissait pas les technologies photos d’aujourd’hui, caractérisée donc par de grands artistes photographes habitués à de longs temps de pose et des techniques bien à eux, des lumières en noir et blanc, utilisant des appareils d’un temps révolu. Qu’est ce que l’on retient de tout cela ? et bien que c’étaient des photographes qui avaient une réelle culture par rapport aux peintres orientalistes. Ils connaissaient aussi bien Delacroix que Fromentin. Dans leurs images, ils transposaient tout cet univers pour leur clientèle qui en était férue. C’était aussi une époque à laquelle, les peintres orientalistes restaient accessibles financièrement pour une certaine élite. Les amateurs de cartes postales de l’époque, sont à la recherche de pittoresque mais qui n’est pas toujours l’expression de la réalité environnante. En ce qui concerne l’Algérie, la Tunisie et le Maroc font appel à des investisseurs, qui mettent rapidement « aux normes » et aux besoins, le pays par rapport à leur clientèle. Le paysage change du coup, on a des villes d’Afrique du Nord qui ressemblent à s’y méprendre à de villes européennes. On avait une sorte d’Orientalisme préfabriqué.
Des clichés récurrents ? Faire plaisir à des gens, pour quelques sous, à l’époque cela ne va pas plus loin. On vendait un rêve, le petit européen pouvait dire en montrant sa carte postale « je suis allée me promener dans ce coin »…
5/ Vous êtes né en Algérie, retrouvez vous le pays de votre souvenir ? Aujourd’hui êtes vous revenu à ces trois destinations ? reste t il des vestiges de l’ancien ou le nouveau a t-il tout englouti ? J’ai voulu à travers les trois ouvrages, faire une machine à remonter le temps. Revisiter la belle époque et les années folles, avant l’avènement des conflits qui vont embraser la région. Nous voulions rendre hommage à cette époque et nous adresser à ces aficionados de l’Afrique du Nord. Car le propre de ces pays, c’est de ne laisser personne indifférent et beaucoup de gens en sont amoureux. Cela concerne autant la nouvelle génération qui n’a pas vécu la période du début du 20e siècle, ceux qui l’on vécu et se sont affrontés car ils étaient tous amoureux de la même terre, des mêmes paysages. Et nous n’avons pas non plus oublié, ceux qui sont obligés de vivre en exil, loin de ces pays. Juifs d’Afrique du Nord, pieds noirs, les nouvelles générations issues de l’immigration maghrébine en Europe. Tous ces gens là, qui se sentent profondément africains et qui sont pourtant, déracinés. Cela reste éternellement chez eux à travers ces livres. Car ces pays, sont devenus terra incognita depuis l962. C’est un Atlantide, une sorte de continent englouti où ils se reconnaissent. Cela ne fait de tort à personne, de voyager à travers les pages d’un livre.
Biographie Expresse Philippe Lamarque :
Philippe Lamarque, 50 ans, publie des livres, anime des causeries et cultive des liens avec la communauté scientifique internationale. Les sujets qu’il aborde sont l’histoire, la métaphysique, la théologie, la mathématique, le droit, la géopolitique, la science héraldique, l’art et l’archéologie, l’ethnographie. De nombreuses médiathèques dans le monde ont acquis ses publications, dont dix-sept universités en France, vingt-quatre bibliothèques publiques de la ville de Paris et la Mazarine, quatre-vingt dix-huit bibliothèques publiques et universitaires dans le monde : États-Unis, Canada, Allemagne, Pays-Bas, Chili, Afrique du Sud, Sénégal, Belgique, Hongkong, Japon, Égypte, Burkina Faso, Tunisie, Algérie. Il cultive quelques jardins secrets, dont son Afrique natale, apportant un soutien actif à la francophonie.