7 Milliards d’Autres : la différence de l’autre peut-elle nous rassembler en toute fraternité ?
Le vivre ensemble dans un Monde qui perd de plus en plus son humanité. Quand la globalisation a réussi à détruire l’essentiel qui réunit les hommes. Comment faire face à ces valeurs en déliquescence, quand les hommes peu à peu se tournent le dos, embourbés dans des dynamiques individualistes de survivance au Sud, ou du tout capitaliste au Nord? Comment arriver à faire le lien ? Puisque nous vivons dans une même planète sommes-nous frères pour autant ? Que reste-il de cette empathie humaine mise à mal par des systèmes qui n’hésitent pas à sacrifier ses enfants sur l’autel de la mondialisation ?
De notre envoyée spéciale à Dakar : Fériel Berraies Guigny
Photos DR FONDATION GOOD PLANET
Un projet qui a reçu le soutien de la BICIS
45 questions, dans 84 pays sillonnés, dans plus de 50 langues. Une enquête de longue durée qui a constitué en 6000 interviews, soit 40 films. 7 années de tournage, et 5.000 heures de rush pour réaliser une base de données unique. Ce projet aujourd’hui est le documentaire français le plus distribué à l’international et près de 200 millions de personnes ont vu le projet à la télévision.
UFFP est allée à la rencontre de l’intrépide journaliste explorateur écolo, Yann Arthus Bertrand. En mission à Dakar, nous avons pu rencontrer le militant environnementaliste au Centre culturel Douta Seck, ce mois de décembre, pour le lancement de son projet, son bébé nourrit avec tant de passion et d’engagement depuis plus de dix ans « 6 Milliards d’Autres » qui avec le temps est devenu « 7 Milliards d’Autres »
Un projet de la Fondation GoodPlanet à l’initiative de Yann Arthus Bertrand. Mais comment en est-il arrivé à s’intéresser à la nature humaine, quand toute sa vie ses combats ont été la préservation de la planète ? Un découlement logique, peut être car entre la nature et l’homme il n’y a qu’un pas.
Vingt ans de reportages, à parcourir les écosystèmes de la planète matrice de notre humanité. A mettre en avant les immenses richesses du Monde mais également en garde contre les méfaits de la main destructrice de l’Homme. Nous aimons Yann Arthus Bertrand au travers de « Home » ou encore « La Terre vue du Ciel » et ses reportages nous font voyager mais ils installent aussi au fond de nous, cette vision alarmiste d’une terre en agonie. Et pourtant, il nous surprendra toujours !
« 7 Milliards d’Autres » est né en Afrique et il a été présenté dans un pays africain, même si initialement l’auteur aurait aimé le présenter au Mali, la configuration géopolitique de la région l’a amené tout naturellement vers Dakar. Pendant plus de 7 ans, des reporters ont traversé le Monde de long en large, recueillant les témoignages et les récits des habitants du Monde. 84 pays où nous découvrons la boutiquière chinoise, ou encore le pêcheur brésilien, l’artiste allemande, l’agriculteur afghan …
Tous ont répondu aux mêmes questions : sur leurs rêves d’enfants « que voulais-tu être quand tu étais petit » ? « Pilote » ont répondu beaucoup d’hommes. Des questions aussi sur leurs peurs, leurs épreuves : nous retiendrons le témoignage terrible de cet homme qui dit avoir grandi avec des parents qui lui ont inculqué « le mal » sauf que lui père il ne le transmettra pas à ses enfants. Ou encore cette Afro-Brésilienne qui dit « je suis fière d’être afro, c’est une belle couleur, je n’ai pas envie de ressembler à tout le monde » ou encore cette paysanne russe qui « nous souhaite d’avoir le moins d’ennuis et de soucis possible dans la vie et d’être heureuse » ou encore ce citoyen qui nous interpelle « te sens tu comme faisant partie de cette humanité, es-tu pour autant mon frère » ?
Cet homme handicapé moteur qui dit que cette épreuve lui a ouvert d’autres portes « car au fond nous sommes tous des handicapés psychologiques, sociaux ou moteurs » ! Autant de questionnements sur notre carapace humaine qui avec le temps semble s’être si endurcie face aux épreuves de la vie, mais sommes-nous si hermétiques à l’autre ? Et ce qui se passe ailleurs là bas ne nous touche il pas pour autant ?
En parlant de l’autre, ce terrien qui est si loin et à la fois si proche, Yann Arthus Bertrand nous rappelle encore une fois que cette partie de nous est universelle : nous avons les mêmes espoirs, les mêmes attentes, nous vivons les mêmes angoisses, nous sommes parfois victimes de rêves avortés, nous avons tous quelque chose à transmettre et nos parents inéluctablement aussi. Et surtout nous sommes tous dans cette quête éternelle du bonheur et de la préservation, mais d’un pays à l’autre, les aspirations ne sont pas les mêmes, car les conditions de vie, la culture, le conditionnement social ne le sont pas.
Et pourtant face à l’amour, nous sommes pareils ! Nous voulons, tentons parfois désespérément de restaurer ce lien qui a été cassé, qui fait que l’on ne se retourne plus pour voir son prochain, son frère, son cousin, cet étranger qui vit de l’autre côté de la rue, de l’autre côté de la terre.
« 7 Milliards d’Autres » c’est apprendre de la vie de l’autre, de son expérience, comprendre et mesurer ce qui nous sépare pour mieux comprendre ce qui nous réunit.
« 7 Milliards d’Autres » à Dakar : entretien avec Yann Arthus Bertrand
En décembre 2012, 3 projections ont investi 3 lieux culturels de la capitale sénégalaise, le Centre culturel Douta Seck, le projet a été diffusé sur écran géant, l’Institut Culturel français et le Musée de l’IFAN. Cet évènement était concomitant à la 6e édition du Sommet Africités qui s’est tenu à Dakar.
Le mécénat de la BICIS a quant à lui appuyé le projet, partageant les valeurs de cette belle aventure : diversité, solidarité et innovation.
Yann Arthus Bertrand
Entretien avec UFFP :
Tout est parti d’une panne d’hélicoptère au Mali. Yann Arthus Bertrand sera recueilli par un paysan malien, il partagera avec lui ses maigres ressources. Très vite une complicité se noue entre l’explorateur venu du Nord et ce malien dont la préoccupation était « comment nourrir sa famille » pour lui garantir une protection durable, alors que son pays traverse une crise sans précèdent. Le déclic viendra de cette amitié et ce choc des cultures. C’est ainsi qu’est né « 7 Milliards d’Autres » une rencontre et une amitié improbable entre un explorateur français très médiatisé et un paysan malien qui tente de survivre.
1/ Pourquoi ce projet ? J’avais envie d’être moins « con » moins bête ; quand on s’ouvre aux autres, on commence à réfléchir, et ça donne envie d’aller vers l’autre. Dans ce reportage, j’ai pris ces petits instants où les gens nous disent ces choses si simples et pourtant incroyables. Parfois on sait mais on n’entend pas, mais quand les gens te le disent, ce n’est pas la même chose.
2/Un projet dont vous ne réalisiez pas encore l’impact jusqu’à aujourd’hui ? Oui c’est inouï, ce que les gens disent, ça dépasse de loin nos attentes. Le perçu des autres est incroyable.
3/ Parlez-nous de GoodPlanet ? Agir rend heureux ! On existe depuis dix ans, mais avant on était une Association et depuis quatre ans on est devenu une Fondation. C’est une fondation que j’ai créé, on est une trentaine de personnes. On est très actifs, on informe sur les enjeux liés à l’environnement, on va dans les écoles, on écrit, on fait des reportages. Nous avons quatre objectifs : Sensibiliser par l’image avec des expos comme celle-ci ou encore « Des Forêts et des Hommes ». Avec nos parutions sur « GoodPlanet.Info » on informe le grand public sur les enjeux liés à l’environnement. Avec les posters GoodPlanet et GoodPlanet Junior, on éduque au développement durable. Et enfin, avec Action Carbone et GoodPlanet Solidaire, on agit pour la planète et les Hommes.
4/Vous avez vendu beaucoup de livres bien avant cette initiative ? Oui en effet, je voulais donc rendre ce que j’avais eu la chance de recevoir. Essayer de créer quelque chose de durable. Quand on a les moyens et que l’on commence à avoir des partenaires et des sponsors, c’est dans la logique des choses. Mais je viens aussi d’une famille qui a beaucoup fait dans la solidarité. A 55 ans j’ai aussi réalisé que je vivais très égoïstement. J’étais très ambitieux, opportuniste, je faisais beaucoup de choses.
5/ De l’écologie à l’humanisme ? Oui tous les écolos du Monde, finissent par se rendre compte qu’il y a un lien indissociable. Si on protège la faune et la flore, c’est aussi pour le bien être de l’homme !
6/ Vous êtes devenu un écolo de cœur ? oui, faut le croire, je m’occupe d’ailleurs d’un orphelinat au Congo Brazzaville. C’est naturel, c’est un passage obligé et on ne revient jamais en arrière. Quand on a commencé le projet on savait qu’il fallait continuer, qu’importe les difficultés. C’est là où il y a la vérité, c’est ce qui donne le sens à ta vie !
7/ La Fondation est un relai entre les gens qui sont et font ? Oui la Fondation est le lien entre les gens qui font et nous, nous sommes le relai financier.
8/ Flashback sur vos premiers amours, les lions au Kenya ? Oui à trente ans, j’avais commencé une étude sur eux, une thèse scientifique sur le comportement des lions au Kenya. Et pour gagner ma vie, j’étais pilote de montgolfière. Et c’est là que j’ai découvert la photographie aérienne.
9/ Terre, mer humain ? Quand on photographie la Terre vue du ciel, on photographie l’homme. Quand je photographie un paysage j’essaye toujours de me penser derrière l’objectif. Il y a toujours l’essentiel devant nous mais je pars de l’homme. C’est l’homme qui m’intéresse. En vieillissant on revient à la spiritualité, en tant qu’homme c’est-ce que je veux autour de moi.
10/ Votre souhait d’homme ? Mourir avec le sourire, me dire c’est la fin, j’ai fait ce que j’avais à faire, ça n’a pas été terrible, mais au moins j’ai essayé ! C’est ce qui est intéressant. C’est le Graal impossible que de réussir sa vie. Il faut être généreux avec les autres
11/ Qu’est ce qui a changé en Yann après « 7 Milliards d’Autres » ? Je suis devenu plus intelligent ; à l’écoute, plus modeste. Je pense que je m’améliore en vieillissant ; il y a toujours des gens qui t’aident dans la vie, dans ce projet il y a un concentré de gens qui vont t’aider à le faire !
Souvent on entend les gens te dire une remarque et après cela te suit toute ta vie.
12/ un dernier mot un message ? On vit dans un Monde que l’on ne comprend pas, moi par exemple je n’ai pas de haine, je ne crois pas en dieu, donc on essaye de comprendre pourquoi des gens sont dans la haine et sont capables de se mettre une bombe autour du ventre et de se faire exploser. Et en même temps, ces gens-là sont comme toi. On a un fait un film sur le Rwanda et je peux vous dire que quand on ressort de ce contexte, on n’est plus le même. On se dit que malgré tout le pardon est là mais on sait aussi que tout ce qui s’est passé au Rwanda, moi j’aurai pu le faire aussi. Je suis conscient de tout cela, c’est mon frère. Je trouve par contre qu’aujourd’hui, on manque de grands leaders comme Mandela ou Gandhi. Nous on est sur le chemin de la consommation et de la richesse et de la croissance uniquement.
Ces portraits de l’humanité sont accessibles sur :