Leila Ghandi: profession reporter humaniste
On aime à la voir telle une héroïne des temps modernes, portant un regard neuf et plein d’espoir sur le monde. Une humaniste globe trotteuse qui capture le beau et l’humain en un déclic. Leila Gandhi est sans frontières, une exploratrice de la vie, une amoureuse des autres. Et malgré son jeune âge elle a tout un parcours derrière elle… UFFP vous la fait découvrir sous « son regard »
Par Fériel Berraies Guigny
Voyager, aller vers l’autre une révélation
Voyager, aller vers l’autre est d’abord un héritage familial. J’ai appris de mon père, chef scout, grand voyageur aventurier, et self made man et PDG d’une grande entreprise. J’ai appris de ma mère, femme de lettres à l’esprit libre. J’ai appris de mon grand-père, théologien, intellectuel, fondateur du mouvement scout marocain. De ma grand-mère, militante, résistante, activiste humanitaire.
Puis voyager, aller vers l’autre est devenu une école. J’ai toujours voyagé, avec mes parents et mon frère. Puis seule, à partir de l’âge de 15 ans. Puis toujours plus loin, toujours plus longtemps, toujours plus en immersion. Je me suis construite sur la route, avec mon sac à dos, mon journal de bord, mon appareil photo. J’ai construit ma vision du monde sur la route, avec mes rencontres, mes expériences, mes découvertes.
Voyager, aller vers l’autre est devenu une évidence, une passion, une décision, un mode de vie. J’en ai fait mon métier.
Elle porte le nom de la paix
L’histoire de mon nom de famille est belle. Elle a du sens et elle m’est chère. C’est l’histoire de mon grand-père qui, au temps du protectorat français et lorsqu’il a fallu s’enregistrer auprès de l’état civil, a choisi de s’appeler Gandhi. En hommage au Mahatma, qu’il admirait beaucoup. Mon grand père était lui-même un pacifiste dans l’âme, comme mon père d’ailleurs. Pour sa sagesse, il était celui que l’on venait consulter, dans l’ancienne médina de Fès.
On me dit souvent que je porte bien mon nom, ou que je ne porte pas ce nom par hasard; c’est un très beau compliment, que j’essaie de mériter.
Photographier avec le coeur
Le cliché et le vers sont des véhicules, des témoignages, des moyens de transmission, des outils de partage, des invitations au voyage. Sa rencontre avec Gilles Kepel est toute une expérience qui lui permet d’aimer et de découvrir l’autre. Elle nous raconte:
Gilles Képel a découvert mon travail à l’occasion du Young Mediterranean Leader’s Forum. Il m’a par la suite contactée pour me proposer un projet. Il souhaitait que je l’accompagne au Moyen-Orient pour réaliser un reportage. Il souhaitait avoir mon regard sur ces sociétés dont il est le spécialiste. Il me disait Je veux le regard de Leïla Ghandi. Un regard différent, sensible, humain. Il souhaitait avoir un regard complémentaire, apolitique, dé-contextualisé.
Ce reportage a été une très belle expérience, une chance à plusieurs niveaux: collaborer avec Gilles Képel, qui est un intellectuel de renommée internationale et avec qui l’échange a été et continue d’être très enrichissant ; collaborer avec Sciences Po Paris étant moi-même diplômée de cette école ; découvrir des pays généralement peu accessibles, notamment l’Arabie Saoudite et l’Irak; et d’un point de vue purement professionnel, la chance de travailler en toute liberté, puisque je n’avais de consigne que celle d’aller, de regarder, et de témoigner à ma manière.
Des reconnaissances et des prix
Ces reconnaissances sont de véritables cadeaux, de grands encouragements. Le trophée Euro-méditerranéen de la Réussite au Féminin remis au Sénat Français. Le prix Littérature de l’Agence Américaine pour le Développement International (USAID). Nommée Opinion Leaders par des organismes onusiens. Invitée à rejoindre le réseau des Young Mediterranean Leaders. Cela me conforte dans l’idée que je suis sur le bon chemin, que j’accomplis des choses qui parlent aux gens, qui les touchent ou les inspirent. Cela veut dire que ce que je fais à un sens et pas seulement pour moi mais pour les autres aussi. Cela veut dire que je dois poursuivre dans cette voie et m’engager encore davantage dans ces choix, dans cette démarche de vouloir témoigner et raconter le monde autrement.
Aujourd’hui mon travail est reconnu et lorsqu’on fait appel à moi, c’est justement parce qu’on connait ma démarche, ma sensibilité, mon regard, mes intentions. « On veut du Gandhi », comme on me dit souvent. Et cela est pour moi une très belle reconnaissance professionnelle.
Au-delà de ces reconnaissances officielles il y a les nombreux mails et courriers que je reçois chaque jour et qui me disent merci, continuez de nous raconter le monde autrement, et merci de nous montrer que nous pouvons mener la vie dont on rêve. Chacun de ces messages est pour moi un aussi grand cadeau que les trophées dorés. Chacun de ces messages est pour moi une raison de plus de rester convaincue et de poursuivre mon engagement.
Et puis, il y a la reconnaissance de ma famille, de ma mère, mon frère, mon père. Je n’oublierai jamais le regard fier de mon père assistant à l’une de mes conférences publiques. Je n’oublierai jamais non plus que mes parents aient fait le voyage Casablanca-Paris pour m’assister et assister au vernissage de ma première exposition photographique dans une galerie d’art du 6ème arrondissement de Paris.
Des images qui dialoguent pour les cultures et les différences
Ce que je peux avoir à dire n’est pas destinée aux femmes africaines en particulier, mais aux femmes en général, et aux hommes au sens encore plus large. M’adresser aux femmes africaines en particulier reviendrait à aller dans le sens des discriminations qu’elles subissent déjà au quotidien.
C’est vrai, certaines femmes sont moins protégées que d’autres. Comme disait Coluche « Les hommes naissent libres et égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». C’est vrai, nous n’avons pas les mêmes droits d’un pays à l’autre et c’est vrai, certains pays présentent un retard, qu’il soit d’ordre démocratique, civique, ou simplement humain. Dans ces pays là les femmes doivent se battre davantage. D’un autre côté c’est vrai aussi, les femmes africaines et les femmes du monde ont souvent des aspirations, des peurs, des combats en commun. Je me rends compte que beaucoup plus de choses nous unissent que nous désunissent.
A ces femmes je voudrais dire ayons le courage de nos opinions, redécouvrons qui nous sommes, sachons ce que nous voulons, et osons l’entreprendre. Je sais cela peut paraitre naïf de croire que tout est possible, mais je le pense vraiment. Le désabusement n’a jamais fait avancer personne, la paresse non plus. J’ai entendu dire un jour « Les idéalistes changent le monde, les réalistes en prennent acte ». Je pense que ce n’est pas complètement faux. Ne jamais prendre de risque nous maintient dans un immobilisme autrement plus destructeur.
Femme caméléon
Je suis curieuse et sincèrement respectueuse des identités culturelles, sociales, religieuses de chacun. Il y a autant de vérités que de points de vue.
Je m’adapte pour mieux rencontrer, pour mieux comprendre, pour mieux apprendre, pour mieux partager.
Je suis tibétaine au Tibet et péruvienne au Pérou. Musulmane à La Mecque et Chrétienne au Vatican. Mon métier est de témoigner, d’entrer en immersion pour raconter au plus près de la réalité. Ma démarche professionnelle découle directement de ma démarche personnelle, et m’impose cette adaptation. Car indispensable à la rencontre véritable, et indispensable à l’immersion. Je ne peux pas entrer en immersion si je ne mets pas de côté mes a priori, mes attentes, mes jugements, mes repères. Lors de mon dernier reportage je suis passée du débardeur à Dubaï à l’abaya Saoudienne en passant par le gilet par balles de Bagdad. Femme caméléon je ne sais pas, mais j’aime l’idée de pouvoir me fondre naturellement dans l’environnement que je découvre.
Des amours multiples
Mon père, ma référence et mon élan. Ma famille, mon soutien et ma tendresse.
Puis il y a toutes ces petites choses, ces petits riens, qui contribuent au quotidien au sentiment d’amour qui me porte. L’amour du voyage, de la rencontre, de la découverte… Les raod trips, les grandes tablées en famille, les piques-niques entre amis, le café du matin, les réveils en montagne, les moussons tropicales, les pieds enfoncés dans le sable chaud, la mangue fraiche, les nuits dans le train, les sentiers Himalayens, le tian chaï, les croissants fourrés aux amandes, le sellou marocain, le camping sous les étoiles, les feux de camp, les noix de pécan, les expéditions… Retrouver de vieilles photographies, discuter sans les mots, me balader dans les ruelles d’une ville inconnue, partir en reportage, revenir de voyage, raconter et partager. Et tellement d’autres choses encore.