TUNISIE OCCIDENT : la voix des démocrates ne doit jamais être oubliée !
Un billet d’humeur par Fériel Berraies Guigny
Le 21 e siècle sera un siècle de revendications; après le printemps arabe, d’autres régions du Monde pourraient connaitre de profonds bouleversements, même si les éléments déclencheurs sont autres. Et le monde occidental, rongé par des crises à répétition et une remise en cause du système économique et politique qui a contribué à sa suprématie, n’est plus à l’abri. La vague d’espoir et de liberté générée par le printemps arabe est sans limite. Mais l’incertitude aussi ; il y aura des progrès dans la démocratie et la liberté, mais il y aura aussi des errements, des frustrations et peut être même des conflits fratricides. Il y aura aussi des complicités coupables Nord Sud que nous citoyens du Monde modérés et Universalistes ne sommes pas prêt à accepter!
L’histoire retiendra que ce mouvement de revendications est parti de Tunisie ; improbable de la part d’un peuple que l’on décrit volontiers comme pacifique, il a gagné des pays ou le totalitarisme, l’absence d’opposition et de contestation et la confiscation du pouvoir au profit exclusif d’une minorité étaient la règle. Pris de court et englué dans des crises qui d’économiques et endémiques deviennent structurelles, le Nord doit renoncer aujourd’hui à l’attentisme et devenir un acteur de ces mouvements de libération. Il lui faut dépasser ce rôle d’observateur moralisateur pour devenir un accompagnateur économique s’il désire installer la stabilité dans la région qui est à ses portes et s’il désire conserver cette primauté et cette aura que lui confèrent son histoire. Mais aujourd’hui, une politique de complaisance de la part du Nord avec l’Islamisme est aussi en train de se profiler. Des délégations européennes tout de suite après la proclamation de la Charia, ou encore des discours comme celui de Hillary Clinton disant qu’elle est prête à collaborer avec l’Islamisme peuvent être ressentis comme un véritable retournement de veste qui laissent à penser, qu’au fond les « jeux étaient déjà faits » et que ces révolutions populaires n’étaient qu’un prétexte alors que la carte géopolitique de la région avait été déjà décidés par les Grands !
N’avons-nous toujours pas appris de nos erreur passées? la voix du peuple et son sacrifice n’ont-t-ils servi à rien, face aux jeux subtilement opportunistes du Nord?
France Tunisie est il trop tard ?
Il est primordial de donner la parole aux nouveaux interlocuteurs et de cesser de recycler les anciens schèmes. Les voies de l’avenir pour la relation franco tunisienne, c’est avant tout ne plus être dans la condescendance ou le paternalisme. Investir et être des partenaires à égalité tout en posant les actes d’une nouvelle confiance pour une démocratie humaniste. Etre à l’écoute des peuples désireux de s’émanciper et non plus pratiquer une politique étrangère d’appui des gouvernants ou le mal est l’ennemi du pire.
Les Tunisiens ont toujours été considérés comme des citoyens incapables de s’autogérer. C’est en tout cas une des constantes de la perception française par rapport à la région. Il s’agit sans doute là de relents postcoloniaux émis par des personnes qui ignorent l’histoire ancienne et récente de ce pays. L’organisation politique de Carthage était encensée par de nombreux auteurs antiques qui mettaient en avant à la fois son excellence et son côté précurseur. Plus proche de nous Bourguiba, dans la période mouvementée qui le conduisit au pouvoir s’attacha à doter son pays d’une organisation et de textes avant-gardistes et porteurs d’avenir. Et sa réussite fut possible en s’appuyant sur un peuple ouvert, progressiste, conscient des enjeux moraux, un peuple qui reste sans aucun doute le plus « éduqué » d’Afrique du Nord, et ce, fille et garçon sans distinction !
Le peuple tunisien est aujourd’hui, et il continue de le prouver au quotidien, un peuple majeur qui mérite d’être gouverné pour ce qu’il est. Sa maturité politique est belle et bien là, elle est incontestable; sa détermination également. Du petit peuple à l’intellectuel, tous ont démontré leur implication et leur désir de retrouver liberté et dignité. Tous ont voulu protester pacifiquement, tous ont démontré que leur bataille était avant tout LAIQUE et qu’il ne fallait certainement pas brandir l’épouvantail islamiste. Un état de fait qui a déconcerté politiques et médias occidentaux, empêtrés qu’’ils étaient dans leurs certitudes paternalistes. Tous ont choisi de mettre leur vie en péril pour cet idéal qui leur avait fait défaut depuis près de trente ans.
Les déclarations des politiques français au tout début de la révolution tunisienne montrent qu’il y a eu une grosse erreur d’interprétation de ce qui se passait alors, mais cela n’était que le reflet de la politique de complaisance franco tunisienne qui sévissait depuis plus de vingt ans!
Bien sûr, il faut se dire que l’on avait fini par s’accommoder de cette complicité tacite aussi coupable puisse t-elle être. Car il y a d’abord la proximité géographique et culturelle d’un pays, un certain affect aussi » Tunisie, la Suisse du Maghreb, le pays du jasmin, le pays ami » on n’avait pas envie que cela change, tout le monde trouvait cet arrangement commode. Enfin, tout le Monde sauf le peuple !
Deux postulats ont servi de paravent à la politique étrangère française. La question de la femme, avec le Code du Statut personnel hérité de Bourguiba car la situation de la femme tunisienne reste pionnière et avant-gardiste dans la région, mais également dans tout le Monde arabe et l’Afrique. La France ne voulait pas mettre en danger cet équilibre et par ailleurs, cela permettait aussi au régime défunt de brandir cet argument histoire de faire taire les remarques éventuelles que pourraient avoir certains bien pensants du Nord en rapport aux exactions que le régime benaliste menait à l’encontre du citoyen et du pays.
Ensuite venait, l’épouvantail islamiste, et la France avait fini par se dire « mieux vaut Ben Ali que Ben Laden » échaudée par la guerre civile et le carnage qu’avait vécu vers les années 90 l’Algérie. Reproduire un même schéma en Tunisie était inconcevable. Et la France s’est laissée entrainer dans cette complaisance et complicité coupable qui a pérennisé les acquis d’un système autoritaire d’une rare violence et qui allait aussi solidement ancrer les racines d’une corruption endémique. Une corruption qui a fini par gangrener tous les atouts de la Tunisie. A force de fraterniser avec le » diable ami », la France s’est rendue coupable de non-assistance à un peuple en danger, et les déclarations d’une Michèle Alliot Marie ou d’un Frédéric Mitterrand resteront dans les annales des bavures de sa politique étrangère. La classe politique française, en parfait décalage avec les réalités du terrain, a continué de s’exprimer en fonction des vingt dernières années. Tunis et Paris continuait naïvement de faire croire que le ballet des liaisons dangereuses allait faire figure de loi et que la révolution en cours ne serait qu’’un feu de paille. Pourtant, fermer les yeux n’était sûrement pas la solution car une nouvelle voix tunisienne se faisait entendre de plus en plus fort malgré le silence assourdissant dans lequel elle avait été plongée depuis des années. Beaucoup d’observateurs occidentaux, les médias aussi pensaient avoir affaire à une simple révolte des gueux, à l’instar des pays voisins qui n’ont pas plus été solidaires. La Révolte, était en fait une Révolution et le tunisien allait écrire une nouvelle page de son histoire. A intervalles réguliers, la petite Tunisie connait de profonds bouleversements ; et l’heure était venue, sans crier gare, prenant au dépourvu « des amis de trente ans ». Et la France ratait un rendez vous historique avec la Tunisie et l’Egypte.
Il ne s’agissait pas pour elle d’exercer une « ingérence politique » mais tout simplement de prendre position pour tenter de défendre un peuple qui tombait sous les balles alors qu’il manifestait pacifiquement. Son omission quelle qu’’en soient les raisons, lui a valu de se décrédibiliser aux yeux d’un peuple qui admirait justement ses valeurs républicaines.
La non assistance française à un peuple en danger, prouvait bien qu’il y avait encore une fois décalage dans sa politique étrangère, cette France admirable qui nous avait inculqué les valeurs des « lumières » montrait ses limites, voire ses lacunes.
Pourtant, sans soutien mais pas sans volonté, le peuple tunisien a quand même su se libérer par la voie pacifique, laïque et sans ingérence internationale. Comme beaucoup l’ont dit » Petit peuple, petit pays mais grande Nation » !
Ils ont inspiré un mouvement démocratique dans bien des pays du Monde ; Et la Tunisie est un néologisme à elle toute seule. « Dégage » a été repris un peu partout dans le Monde. L’Egypte et après elle la Lybie se sont libérées du joug de la tyrannie. Il a même été question du printemps européen après en Grèce et en Espagne.
Mea Culpa oui mais islamisme comme interlocuteur non !
Ce constat fait, il faut maintenant reconstruire sur des bases saines et avec des hommes nouveaux. La politique de flottement qui assoit la corruption et qui permet aux hommes affaires des deux bords de continuer de faire des affaires doit cesser. Certes on ne pouvait pas à l’époque conclure un marché en Tunisie sans être près de l’ancien pouvoir. Aujourd’hui cette donne a changé et cela contribue aussi à la frilosité des investisseurs qui voient s’estomper leurs repères et leur marge de manœuvre se réduire. Du temps de Ben Ali, la Tunisie était au mieux un paradis fiscal, au pire une société mafieuse. Aujourd’hui, il faut reconstruire sur des bases nouvelles, profiter et faire profiter des relations séculaires qui existent entre deux peuples cousins. Mais il faut aussi se garder de créer une nouvelle forme d’impérialisme économique qui pourrait être interprétée comme un néocolonialisme latent. Le peuple nouvellement libéré, ne veut plus de cela. La période des pères blancs est révolue, celle des gendarmes aussi !
Du temps de Lionel Jospin et d’Hubert Védrine, l’attitude avait été bien plus équilibrée envers la Tunisie. Ces deux hommes d’Etat tenaient bon sur le fait qu’il fallait dialoguer autant avec le pouvoir que la société civile résistante. Des discours comme ceux de Chirac disant que la liberté du tunisien est d’avoir un toit et du pain, ou du gouvernement Sarkozy, tressant des louanges ou déroulant le tapis rouge à des dictateurs sanguinaires, sont révolus!
Il faut que l’on accepte l’élargissement des libertés en Tunisie et que l’on cesse ce rapport déséquilibré. Il faut un dialogue avec tous les membres d’une société. La véritable ‘ingérence, consisterait à n’interagir qu’avec le pouvoir en place tout en omettant les revendications de la société civile. Aujourd’hui les relations entre les deux pays sont en devenir, il y a une grosse perte de confiance, beaucoup de désenchantement ; la Tunisie et son peuple ont du mal à croire en la France. La politique d’immigration orchestrée par Sarkozy et ses sbires que sont Hortefeux, Besson et maintenant Guéant ne fait qu’’ajouter à ses désillusions. Une grosse rupture se profile et la France risque de perdre irrémédiablement son emprise dans la région. D’autant qu’aujourd’hui, les nouvelles relations privilégiées entre la Tunisie et la Lybie vont faire de Tunis le point d’ancrage du développement régional. Même si la France s’est empressée de garantir ses intérêts économiques en Libye, cela ne suffit pas ou plus. Car il ne faut pas oublier que la Tunisie toujours pas remise de sa révolution a accueilli le peuple frère libyen et a partagé avec lui ses maigres ressources! Aujourd’hui, la Tunisie est un interlocuteur fiable et respecté, avec la Constituante nous avons eu une véritable leçon de démocratie même si la présence d’Ennahda a de quoi inquiéter les musulmans modérés et qu’en l’occurrence nous ne comprenons pas non plus que nos votes démocratiques aient pu alimenter des coalitions coupables avec ceux qui ne partagent pas notre idée de la laïcité et de la religion!
Si la France veut peser économiquement dans la région, il lui faudra se repositionner et se comporter en partenaire, ne pas uniquement lorgner du côté de ceux qui seront au gouvernement, mais également rester à l’écoute de la Tunisie laïque et modérée, la voix des démocrates ne doit jamais être oubliée
Il est vrai que les mouvements islamistes sont en train de gagner du terrain et même si cela change la donne, ce n’est pas une fatalité; leur arrivée a été légitimée par les urnes! Et il faut comprendre les racines de cette profonde islamisation qui au fond est née de la pauvreté et de la marginalisation. Un grand danger est aux portes de la Méditerranée, une véritable bombe à retardement pour les femmes et pour la stabilité Nord Sud. Le peuple ne leur a donné qu’’un CDD, et la période d’essai ne sera peut être pas renouvelée !!!
Donner la place aux nouveaux interlocuteurs
Il faut aujourd’hui, véritablement accompagner le peuple tunisien dans son désir d’avenir. Donner la voix aux nouvelles élites qui représentent la Tunisie de demain dans la diaspora comme en Tunisie. Si la France veut garder son emprise dans la région, il faudra donner des preuves au peuple tunisien, déjà en terme d’IDE (investissement direct à l’étranger), aider le tourisme en perte de vitesse, privilégier les partenariats et l’aide financière pour aider à la reconstruction. Sans oublier la politique régionale et sa politique d’immigration qui irrite la diaspora. A défaut, le fossé risque de davantage se creuser.
Aider économiquement les démocraties naissantes
Aujourd’hui la Tunisie entre dans une phase cruciale de son avenir et ce n’est certainement pas pour la France le moment de la laisser tomber une seconde fois. L’Année dernière un million quatre cent mille français se sont rendus en Tunisie, cela prouve qu’a priori les français aiment la Tunisie. Ils l’ont admirée durant la révolution et ce n’est pas le moment pour les politiques de lui tourner le dos. La Tunisie est toujours aussi belle, elle est simplement plus « libre » et a de nouvelles attentes et les chantiers sont partout car il y a beaucoup de choses à faire !
Et si la sortie des urnes a pu surprendre, il y a des débats démocratiques pour préparer la relève, signe d’un pays qui peut être se cherche, mais se prend en main. Dans toute démocratie, c’est un passage obligé.
L’existence de mouvements islamistes ne signifie pas radicalisation ou islamisation du pays, notre tradition démocratique et laïque est bien trop ancrée et une large frange de la population s’opposera à tout retour en arrière ou perte des acquis, notamment s’agissant des femmes et de leur place dans la sphère publique et civile. Aujourd’hui, les enjeux de la viabilité de cette renaissance est avant tout économique, la Tunisie devra subir les contrecoups de sa liberté, elle devra résister afin que sa révolution ne soit pas dévoyée!
La transition risque de durer plusieurs années elle progressera de manière inégale, elle sera ponctuée de haut et de bas, de moments de frustrations aussi. Il est important que la France et l’Union Européenne accompagnent les peuples des nouvelles démocraties en devenir. Si les peuples et les jeunes qui ont été les instigateurs du printemps arabe ne trouvent pas de réponses à leurs attentes, alors il est à craindre que des récupérations malsaines prennent le dessus. L’islamisme qui a des financements et qui est bien mieux structuré que les partis politiques laïcs, prendra cette fois ci réellement le pouvoir se nourrissant de toutes ces frustrations. Le beau modèle de démocratie sera anéanti simplement parce que ces pays nouvellement libérés n’auront pas eu les moyens d’asseoir leur transition et non parce qu’’ils auraient été incapables de maturité démocratique. Nous avons l’espoir, aidez nous à le transformer en réalité !!!
Un très bel article qui s’interroge sur la situation Tunisienne actuelle. La portée des mouvements de révolte ? La géopolitique au régard de sa reconstruction ? Et la France ? Qu’en est-il réellement de ses rapports avec la Tunisie et pas seulement ?
Je vous recommande la lecture de cet excellent article.