Juriste de formation, femme militante et engagée, la franco camerounaise Françoise Traverso, a fait de la cause féminine, un vecteur de ses combats pluriels pour les Droits de l’Homme.
Par Fériel Berraies Guigny
A la tête de l’AIDH, Association des Droits de l’Homme, nous nous sommes entretenues à cœur ouvert et in aparté sur les défis qui taraudent le monde Associatif en France , mais également sur la problématique relative à une thématique malhereusement endémique et douloureuse : la précarité et la violence à l’encontre de toutes les femmes du Monde. Une donnée qui est devenue une fatalité historique,belle et bien rentrée dans les moeurs de notre monde contemporain. Pourtant deux femmes, deux associations, deux combats se rejoignent UFFP et l’AIDH la main dans la main ont encore une fois devisé sur la meilleure moitié de l’humanité : les femmes !
Entretien Avec UFFP :
Françoise Traverso photo JUNGLENO photography
1 les Femmes qui vous inspirent?
Je suis inspirée par l’humain en général et la femme en particulier.
Ai-je vraiment un modèle de femme ? Oui je dirai principalement Olympe de Gouges (1748-1793), féministe et humaniste du 18è siècle et auteur de la Déclaration des Droits de la Femme et de la citoyenne. Cette femme exceptionnelle milita pour les droits civils et politiques de la femme et l’abolition de l’esclavage des Noirs. Pour l’époque, il fallait être un personnage d’exception pour porter de tels idéauxpolitico-humanistes. Pour moi, Olympe de Gouges incarne idéalement la libération de la femme.
Plus près de nous, je citerai le Premier Prix Nobel de la Paix Africain, Mme Wangari Muta Maatai (1940-2011) pour sa contribution en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix. Les actions menées par cette grande Dame doivent continuer à nous inspirer. Madame Wangari, à travers son « Mouvement de la Ceinture verte », a appris aux femmes rurales à planter les arbres là où elles se trouvent afin d’éviter la déforestation et au-delà,générer un revenu, une autonomie économique qui leur permet d’assumer des responsabilités tant familiales que communautaires. Il arrive aussi que d’autres femmes nous inspirent à un moment donné pour telle ou telle action, mais la liste n’est pas exhaustive.
2- La femme toujours au cœur de vos combats? qu’en est-il des enfants?
L’A.I.D.H. en a fait son cheval de bataille. Comment en serait-il autrement lorsqu’on voit les inégalités homme-femme perdurées dans toutes les sphères de vie.Est-il normal qu’une femme soit moins rémunérée que l’homme à compétence égale ? Un écart de rémunération d’environ 27 % n’a aucune justification (France INSEE).
En politique, moins de 30% de femmes sont représentées au parlement en France et un peu plus de 20 % au niveau mondial (ONU).
L’Egalité femme-homme figure dans la Charte des nations Unies de 1945, la Déclarations Universelles des Droits de l’Homme de 1948, les diverses Conventions internationales et notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979, la Déclaration de 2007 sur les populations autochtones…les traités internationaux, régionaux et les différentes constitutions nationales. Pourtant, dans les faits, les discriminations perdurent dans toutes les sphères de la vie. Ces inégalités sont inacceptables et m’incitent plus que jamais à poursuivre le combat.
En France, selon le Ministère des Droits des Femmes, une femme perd la vie tous les 2,5 jours suite aux violences conjugales et au niveau mondial, 1 femme sur 3 est victime de violences d’après une étude réalisée dans 81 pays (OMS).
Certes des progrès sont observés ici et là, et les politiques publiques du gouvernement (français) vont dans ce sens et je ne peux que souscrire.
Nous devons cependant rester vigilants et poursuivre cette quête d’égalité, d’autonomie et de liberté pour les femmes du monde entier.
Bien évidemment, l’on ne saurait laisser de côté les enfants, qui sont malheureusement des victimes de conflits familiaux voire de conflits armés. Le sort de ces enfants est souvent lié à celui de leurs mères et de l’environnement dans lequel ils évoluent.
Lorsqu’une famille traverse une crise, les premières victimes sont souvent des enfants. On ne saurait dont rester insensible à cela d’autant plus que l’un des objectifs de l’A.I.D.H. est également la sensibilisation aux droits de l’enfant rappeléspar la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de 1989. Il est donc plus que judicieux d’avoir un cadre de protection et d’accompagnement de ces enfants victimes, ceci relève bien évidemment des politiques publiques de l’Etat, la société civile ayant un droit de regard.
Autre domaine ou la situation des enfants est préoccupante, il s’agit d’enfants vivant en zones de conflits et enrôlés dans des guerres…
L’exemple des enfants soldats est parlant. Beaucoup de ces enfants se retrouvent embrigadés dans des conflits armésnationaux voire régionauxalors même qu’ils devraient se trouver sur les bancs des écoles.
Le droit international humanitaire est très clair là-dessus, l’enfant doit être protégé par les belligérants car il fait partie des personnes dont la protection est garantie par la IV Convention de Genève et les protocoles additionnels de 1977 ainsi que par des traités internationaux et régionaux voire des lois nationales.
La femme et l’enfant sont donc au cœur de mes préoccupations quotidiennes, l’un ne vas pas sans l’autre.
3.- En faisant un tour d’horizon pour 2014 quels sont les défis et les victoires au Féminin?
Les défis à relever pour 2014 sont nombreux pour accéder à l’égalité, à l’autonomie, à la liberté tant réclamées. Malgré les avancées et face à l’immensité des revendications, j’ai quelque fois tendance à penser que « la montagne » est infranchissable. Néanmoins, j’ai confiance et comme le dit un proverbe chinois :
« Ne craignez pas d’être lent, craignez seulement d’être à l’arrêt» .
Pour ne parler que de la France,des politiques publiques favorables aux femmes ont été mises en œuvre depuis quelques années et se poursuivent en 2014 et au-delà. Je citerai l’instauration de la parité pour les élections locales et nationales, une politique de féminisation dans des entreprises nationales et la mixité professionnelle lancée pour 2014. Désormais, les études d’impacts de projets de lois prennent en compte la dimension de l’égalité homme-femme, de même les Ministres ont été invités à adopter la même démarche lors de la mise en œuvre de leur pouvoir règlementaire.
Le Maroc s’apprête à réviser l’article 475 du code pénal qui permet à l’auteur d’un viol sur mineure d’échapper aux poursuites pénales en épousant sa victime. Cette disposition légale nous rappelle tristement le suicide de la jeune Amina qui préféra se suicider que de vivre avec son violeur de mari en 2012.
En Tunisie, les acquis des femmes sont protégés et renforcés par la future constitution… L’égalité femme-homme y est désormais inscrite,un fait exceptionnel dans le monde arabe pour ne pas le souligner.
Est-il normal que certains individus continuent à pratiquer des mutilations génitales alors même que la loi l’interdit explicitement ? Que l’on continue à donner en mariage des petites filles de 8 ans ? Que l’éducation des garçons soit privilégiéedans certaines zones au détriment de celles des petites filles?
Des victoires des femmes certes, mais il reste tant à faire. Quant aux défis, il nous reste à traduire ces conquêtes dans les faits, que l’arsenal juridique mis à disposition soit utilisé et appliqué, c’est mon vœu.
Il est évident que les femmes acquièrent de plus en plus des droits au sein de la société et pas seulement, mais tant de défis restent à relever. Pour paraphraser ce « héros humaniste» du XXème siècle, Nelson Mandela (1918-2013), je dirai que ; « Nous ne sommes pas encore »…égaux en droit, « mais nous avons seulement atteint » le droit par les textes d’être libres » et égaux.
4- Du Nord au Sud, face à la conjoncture économique plus que morose, les tensions au Sahel, au Maghreb dans le Monde arabe, la précarité du Nord, la femme reste un dommage collatéral encore et toujours?
En effet, la conjoncture économique n’est pas favorable à l’émergence d’une classe de femmes leader au sein des entreprises voire des structures sociétales. Il ne faut pas perdre de vue que les femmes occupent majoritairement des emplois précaires (près de 80% en France). Comment pourrait-il en être autrement ? L’économie mondiale globalisée est dirigée par les hommes qui sont à l’origine, de bien de maux.
La Syrie, l’Afrique avec ses conflits armés, duCongo à la Centrafrique en passant par le Soudan… les femmes subissent tant des dommages collatéraux ! Dans les zones de conflits, les femmes sont des victimes civiles, y compris les enfants. Lorsqu’elles survivent à ces drames, elles ont la responsabilité des familleset de la communauté dans son ensemble alors qu’elles sont dépourvues de tout.
Ces femmes, violées, torturées et très souvent sous le regard des conjoints ou des enfants sont transformées en objet, en esclaves sexuelles.En République Centrafricaine,les femmes sont utilisées comme arme de guerredans un but de destruction et d’extermination des communautés. Pourtant, le droit international humanitaire protège les femmes et les enfants en période de conflit, hélas !
5- Le Milieu Associatif en France souffre d’un manque de reconnaissance et les femmes quand elles traitent de sujets « épineux » sont parfois confrontées à plus de lenteurs, qu’en pensez-vous?
Je ne vous dirais pas le contraire, le milieu associatif est peu valorisé notamment les petites associations alors qu’elles ont autant de mérite. Ces petites Associations sont pourtant au contact de personnes en souffrance et sont à même de répondre plus rapidement aux problématiques posées. Sans le soutien des Mairies, des Collectivités locales et régionales, des Ministères de tutelles, des structures à l’instar de l’A.I.D.H.auront du mal à se faire entendre et à survivre. Ceci étant, lorsqu’on traite de certains sujets qui dérangent un mode de pensée établi, alors, homme ou femme, l’individu sera confronté à plus de « lenteur » comme vous le dites si bien.
6- Comment trouver les financements dans un pays où l’hermétisme prévaut et que certaines situations sont considérées désormais comme une fatalité historique et non plus un changement à provoquer ?
De nos jours, il est très difficile de trouver des financements pour une Association fut-elle grande. Plusieurs raisons à cela :
– Le contexte économique mondial n’est pas du tout favorable;
– La fragilité économique desdonateurs ;
– La multiplication des Associations aux objectifs parfois identiques,brouille quelquefois le message.
Néanmoins, si on prend le cas de la France, le nombre de donateurs, de structures soutenant des actions solidaires des Associations est en net recul. C’est dommage compte tenu de tout ce qui reste à accomplir, non seulement pour les femmes en souffrance, mais également pour tous ceux qui vivent dans une extrême précarité.
Je lance d’ailleurs un appel aux dirigeants d’entreprises, aux mécènes et pas seulement, à soutenir des actions portées par des Associationsen l’occurrence l’A.I.D.H,en vue de promouvoir des droits des femmes, le respect de la dignité humaine, la non-discrimination dans tous les domaines de vie,l’autonomie économique, et la liberté.
Bien que des mentalités, des structures sociétales tardent à évoluer vers une société égalitaire non discriminante dans le respect de l’altérité, j’ose croire qu’il n’est pas question de fatalité, mais plutôt d’une lente et constructive évolution de nos sociétés dans lesquelles règneront les libertés fondamentales et les Droits de l’Homme. Avec le temps, nous y arriverons. Aux jeunes générations de poursuivre le combat des pionnières, rester en éveil et ne rien considérer pour acquis.
7- Que souhaiter pour 2014 ?
Un renforcement de la cohésion sociale,une solidarité internationale entre les peuples dans ce monde globalisé, garantissant une culture de la Justice et de la Paix.
Merci Françoise Traverso
Merci à Fériel Berrais Guigny et longue vie à UFFP Magazine.
L’appel lancé aux dirigeants d’entreprises , aux donateurs et aux mécènes pour soutenir des associations crédibles comme l’ AIDH doit être pris en compte. Bonne continuation Madame la Présidente.