Femme de tempérament, battante, fine politicienne, elle a grandi dans le giron de la politique dans sa terre natale au Congo, aujourd’hui dans sa patrie d’adoption, la Belgique, elle continue de faire bouger les lignes.
Alors que son RDA natal continue de subir le pire, elle est le porte flambeau de ces femmes libres, insoumises, qui ont une certaine idée de l’éthique en politique.
Elle fait partie des « femmes leadeuses » qu’UFFP affectionne particulièrement…
Elle est le Prix de l’Action Féminine 2015 de l’Union des Femmes Africaines. Députée provinciale de la région Wallone, femme politique engagée, maman poule, épouse, elle représente cette diversité féminine en Europe que l’on aime.
Isabelle Maliba Kibassa
Entretien avec UFFP :
Parlez nous de votre parcours en politique?
J’ai été nourrie dans le berceau politique dès le départ. Je savais que j’allais faire comme mon papa et je crois qu’il a su voir le potentiel que j’avais par rapport à sa mission politique. J’ai donc été vite initiée. D’ailleurs, mes amis me disent qu’ils ne sont pas étonnés de me voir là où je suis. Ce n’est pas un feu sacré, tout s’arrache. Il faut de la volonté, de la passion, l’intelligence du cœur, par rapport à son environnement aussi (cela ne sert à rien d’avancer en jouant des coudes, en faisant tomber les autres parce qu’arrivé au sommet, il se peut que l’on redescende et que l’on retrouve les mêmes personnes qu’on a fait tomber).
Je savais que j’allais aboutir là où je suis. J’ai juste mis un pied devant l’autre, je connaissais ma cible.
Être une femme issue de la diversité, quels sont les défis aux quotidiens?
Il est vrai qu’il y a des gens qui prennent un malin plaisir à vous rappeler que vous êtes différent (ça, je le sais et sincèrement ça ne me dérange pas), en poussant même le bouchon plus loin, différent donc inférieur…
Moi, ma tête est compartimentée en plusieurs tiroirs… et il y en a un que j’appelle corbeille ou « delete », c’est là où je balance tout ce qui peut me frustrer, car ça peut être énergivore, mais surtout inutile ! Ensuite, il ne me reste qu’à faire sublimer ma différence, parce qu’au final je sais que je gagne en acceptant la différence de l’autre.
À partir de là le quotidien n’est plus un défi !
Êtes-vous une féministe?
Oui… par la force des choses puisqu’il faut souvent taper sur le clou ! Et c’est avec beaucoup de tristesse que je constate que nos mamans, nos grands-mères se sont vraiment battues pour que nous ayons la reconnaissance de nos droits, et que nos jeunes filles haussent les épaules au lieu de manifester ne serait-ce qu’un sourire de reconnaissance le 8 mars.
Je m’insurge toujours !
Non ! Il y a des femmes qui sont mortes pour qu’on ait des droits aujourd’hui. Quand je vois des jeunes filles qui disent que c’est folklorique, je me dis qu’on doit penser à toutes celles qui se sont battues pour nos acquis ! Il nous faut leur rendre hommage.
Quel est le regard que vous portez sur la participation féminine en Belgique pour les femmes de la diversité? Mais également dans le Continent africain ? Quel regard portez-vous sur la parité, les quotas, l’égalité?
En Belgique, je le dis souvent, déjà rien qu’en parlant de la participation de la femme, il y a des avancées…mais elles restent timides.
Timides parce que les mentalités ne se sont pas encore totalement libérées, mais timides aussi parce que coté foyer, la femme reste naturellement la gardienne du temple.
Sur le continent africain, c’est pire encore, car certains hommes gardent encore cet esprit archaïque, comme quoi une femme ne doit pas travailler, avec comme rôle de prédilection : faire des enfants, faire la cuisine, et bien sûr, servir son homme, son GPS fonctionnel étant limité à la chambre, à la cuisine et à la salle à manger…
Bon pour certains, je caricature peut-être…
Mais arpentez les rues en Afrique pendant une campagne électorale, écoutez ce que l’on ose dire sur les femmes qui posent leurs candidatures, c’est immonde ! Et beaucoup de femmes se découragent alors pour ne pas être exposées à l’ignominie… Moi je balance ça à la corbeille !
Il nous faut cependant reconnaitre des avancées significatives, du côté des grands lacs par exemple, il y a beaucoup plus de femmes à des postes supérieurs en politique…mais malheureusement c’est aussi dans ce même coin où des hommes commettent les plus graves exactions sur les femmes…des femmes des pays voisins…mais pour moi ces hommes ont perdu tout sens du commun, l’animal a pris le dessus sur eux.
Vous êtes congolaise, quelles sont les femmes présentes en politique?
Ma terre natale est un vrai terreau fertile en politiciennes émergentes !
Avec moi il y a aussi ce bel exemple qu’est Cécile Kyenge, ancienne Ministre pour l’Intégration en Italie, elle est maintenant Députée européenne. Et sur place j’ai des tantes, des cousines ou des amies députées nationales, sénatrices ou ministres…
Les plus grands freins là-bas pour les femmes ?
Je pense que le plus grand frein est la conception socioculturelle de la femme et de l’homme.
En Afrique, la femme arrive souvent au dernier plan. Le cadre culturel congolais marque de manière profonde les relations inégalitaires entre la femme et l’homme avec deux conceptions négatives qui se complètent, celle du regard de l’homme vis-à-vis de la femme et celle du regard de la femme vis-à-vis de la femme.
La violence endémique met en danger les femmes souvent cibles, boucs émissaires, victimes?
Les femmes sont d’un naturelle pacifiques, leur vie n’est qu’abnégation, forcément, c’est elles qui gardent l’église au milieu du village, car leurs hommes sont en train de guerroyer, elles sont considérées comme des éléments faibles, utilisées comme armes de guerre, comme chairs à canon, ou comme monnaie d’échange…je l’ai dit plus haut, les hommes qui font ça sont définitivement des animaux pour moi.
Comment parvenir à l’égalité des genres en Afrique selon vous?
Les femmes sont en train de s’organiser face à cette hostilité, Oui, on parle toujours de la raison du plus fort…
Que les hommes se méfient…tout au long de l’histoire de la vie sur terre, les plus gros et les plus forts n’ont pas su résister aux grands cataclysmes et aux changements climatiques, …ce sont souvent les créatures les plus humbles qui ont survécu.
C’est parmi les plus faibles que sont nées les plus belles histoires de solidarité, …par la symbiose, …l’ingéniosité adaptative à développer ses plus belles inventions… pour faire face à un monde hostile aux plus faibles. Posons-nous une question : où sont passés les dinosaures pourtant si gros, si solides et si fort ?… ils n’ont pas survécu au cataclysme ! Grâce au travail, à la solidarité et l’organisation les femmes résisteront…
Il y a pourtant tout un arsenal législatif CEDAW UA ONU qu’en est-il dans le terrain?
Des textes existent mais s’interprètent au gré des us et coutumes de chaque pays. Sur le terrain, ces législations équivalent à mettre un plâtre sur une jambe de bois car tout le monde reste dans ses retranchements.
On peut se poser la question de leur création dans le but de donner « bonne consciences » à leurs signataires…
Des conseils pour celles qui seraient tentées par une carrière politique?
Je vais vous raconter une histoire…
J’étais toute petite, j’avais dix ans et je pense que c’est à ce moment-là que mon côté pas « féministe », mais féminin quand même, m’est apparu comme étant une force. J’allais dans un quartier voir mon grand-père qui était propriétaire d’une cour commune et il y avait donc d’autres familles qui vivaient dans la parcelle. Un jour j’arrive et un homme et une femme se disputaient. La raison était la suivante : c’était un dimanche, la maman venait de rentrer de son travail (elle vend au marché) et les enfants sont allés pleurer chez elle en disant qu’ils avaient faim. Elle se dit que ce n’est pas possible, car quand elle est partie le matin, elle avait tout laissé dans la cuisine, il suffisait de réchauffer la nourriture et de la donner aux enfants. Mais le mari disait que tout ce qui se passe en cuisine ne le concerne pas, c’est à la femme de le faire, car c’est lui qui travaille et qui ramène de l’argent. La femme lui répondit que c’est vrai que c’est lui qui apporte de l’argent (mettons cela en euro, disons que c’est 100 euros), mais la nourriture que la famille mange vaut 400 euros. Les 100 euros que le mari rapporte, elle les utilise et les multiplie. S’ils ont assez de moyens, c’est parce qu’elle aussi travaille. Par conséquent, il va aussi s’occuper de la famille. Je trouvais que c’était une très bonne leçon. Pour 100 euros apportés, le mari pense qu’il a le droit de mettre ses pieds sur la table et ne rien faire alors que c’est la femme qui nourrit en fait la famille.
Donc la femme ne doit avoir aucun complexe. Le challenge, nous l’avons déjà. Il faut se dire que nous avons quelque chose en plus. Il ne faut pas vivre cela en se disant par exemple « je suis déjà un challenge, cela n’ira pas ». La femme dans mon exemple a eu le front de tenir tête à son mari. Le fait d’être des femmes, des mères, c’est déjà un challenge. Très sincèrement, il faut viser la cible et avancer.
Pour une femme quelles sont les qualités requises pour le leadership ?
Je pense qu’il n’y en a pas…
Tout simplement il faut identifier clairement la cible. Quand cela est fait, rien ne peut se mettre entre vous deux. Et avancer, en ayant l’intelligence de son environnement, l’intelligence du cœur et beaucoup de passion.
Par ailleurs, revenant à mon histoire précédente, c’est cette image que j’aimerais avoir de la femme : une femme qui n’a pas peur de franchir des obstacles. C’est cette force, cette volonté qui est la base d’une femme entrepreneure. Donc il faut se mettre en tête qu’il faut être volontaire et avancer, et ne pas laisser de place au doute.