Nicolas Beau » Notre société est très amnésique » !
Par Fériel Berraies Guigny
On l’a connu par le désormais célèbre Blog » Backchich » mais aussi pour les sulfureux ouvrages « Notre Ami Ben Ali » et la « Régente de Carthage »
Prolixe comme à son habitude sur la Tunisie, le journaliste, nouvelle recrue de Marianne, nous revient avec un petit Essai » Tunis Paris : les liaisons dangereuses » ou les coulisses d’une certaine Françarabie qui a du mal à se défaire de ses anciens schèmes. Pour certains, Nicolas Beau aura une fois de plus raté l’occasion de se taire, pour d’autres il aura pointé du doigt un système qui a déjà fait « ses preuves » en Afrique subsaharienne, système fait de réseautage, de compromissions, et de soutiens abusifs au détriment des libertés, de la démocratie et des peuples.
Nicolas Beau a une autre actualité puisqu » il a tourné en Tunisie durant le mois de ramadan dernier un documentaire » sur les oubliés de la Révolution » une coproduction franco tunisienne qui sortira à la rentrée sur la chaine parlementaire française et la Chaine tunisienne; il a également lancé un nouveau site d’information » La lettre du Sud »
Entretien :
Vous aimez taper dans la fourmilière ? Je n’ai évidemment aucun acharnement contre la Tunisie mais plutôt contre le système Ben Ali ! Je suis arrivé au constat que la Tunisie n’avait plus rien à gagner de cette gouvernance, notamment ces dernières années où il y a eu un accroissement formel de la corruption, au plus proche du pouvoir. Je considérais que le niveau d’instruction et de développement du pays faisaient que le peuple tunisien méritait d’avoir une réelle démocratie. Il me fallait donc dénoncer et mettre au grand jour les pratiques délictueuses qui ne pouvaient qu’’être chuchotées depuis Tunis. Suis-je allé au-delà de la réalité du régime? je ne crois pas, je pense même que c’était pire que ce que j’imaginais .
Amour de l’éthique politique en général ou journaliste qui fait dans le sensationnaliste? Ni l’un ni l’autre, ce qui guide un journaliste ce n’est pas l’éthique mais un code déontologique, qu’’il faut essayer d’appliquer. Le seul grand principe qu’il faut absolument garder c’est qu’un journaliste ne doit pas être l’ami des puissants. Il ne faut pas devenir le confident, mais rester branché sur la vie réelle. C’est sur, on se fait des ennemis tout autant que des amis, tout va très vite avec les réseaux qui en règle générale gouvernent l’Afrique la Tunisie, le Maghreb ou la France. Tout cela virevolte » l’ennemi d’hier devient notre ami ». La société est très amnésique ! ça me rappelle quand j’ai rencontré BHL il m’avait dit » oh vous savez l’encre est si vite sèche » !
Bakchich ce site a été carrément un exutoire pour vous, bilan des courses ? Sans doute pas un exutoire, mais le moyen de s’exprimer pour certains journalistes qui ne pouvaient pas passer toutes leurs informations ailleurs. On a laissé une totale liberté, peut être même un peu trop et cela nous a desservi, car on n’a pas eu les moyens et le temps de mettre des procédures dans la rédaction qui nous aurait permis à chaque fois de bien border les sujets qu’on publiait. On faisait les choses trop vite et on n’évaluait pas toujours la portée de ce que l’on écrivait! On a fait un certain nombre d’erreurs informatives que je reconnais mais on a également sorti beaucoup de choses!
En France aussi, y aurait un sacré ménage à faire car éthique, humanisme et politique ne font pas bon ménage ? que pensez vous des derniers scandales qui continuent d’éclabousser la politique française ? L’énorme secousse qu’a connu le Monde arabe, je préfère ce terme à Révolution a été plus ou moins bien perçue. Evidemment, la France avait aussi des liens avec ces anciens régimes et il était difficile pour elle de se réajuster sur le coup. La France a avant tout des relations avec des Etats et non des peuples, il se trouve que ces Etats étaient dirigées par des dictateurs, et qu’’il y avait aussi une réelle complicité entre les deux. Chacun trouvait son compte en termes de petits avantages et de grosses valises. Mais la diplomatie française a pris la mesure de ces failles.
Sa politique vis-à-vis de la Tunisie et du Monde arabe actuellement? Elle essaye d’être assez nuancée en Tunisie, notamment par rapport à l’islamisme ; sur le Moyen Orient c’est assez équilibré, sur la Syrie elle prête la main car il y a une vielle tradition des services français d’alliance avec les régimes de Damas. C’est une question de tradition étatique française, la France a toujours eu des préférences et soutient souvent les minorités du Monde arabe, car ce sont les « loups »
La secousse salvatrice oblige tout le Monde à réviser ses positions? Oui en effet, et on l’a révisé très loin avec la Lybie car il y a trois ans la France recevait Kadhafi et maintenant on le pourchasse. Et sur ce dossier, la France s’est véritablement mouillée.
On a la sensation que certains Etats influents (et notamment Israël) ne sont pas désireux de voir se concrétiser les rêves de démocratie des pays arabes, qu’ en pensez vous? Israël paradoxalement qui est une vraie démocratie malgré tout ce qui est fait contre la Palestine, n’a pas intérêt à ce que les démocraties du monde arabe réussissent.. C’est un pays qui veut surtout mettre en avant qu’il est la seule démocratie de la région entourée de dictatures. Israël veut rester le seul bon élève de la région, mais il a tort car justement si de vraies démocraties s’installent dans le Monde arabe, peut être qu’alors on trouvera une solution à la question palestinienne et on ira vers la paix dans cette région du monde en proie à la violence depuis tant de décennies. L’Occident est habitué à dealer avec des régimes ultra autoritaires, ils trouveront vite des accommodements. Par ailleurs, Paris n’est plus la capitale arabe qu’elle était dans le passé, capitale intellectuelle ou politique. Les nouvelles capitales sont Washington, Istanbul, Téhéran. Paris compte encore mais par rapport à ce qui se joue en Egypte ou en Irak son poids est très dérisoire.
On a du mal à comprendre la diplomatie sarkoziste actuelle, qui se situe plus dans la réaction que dans l’action réfléchie ? Le nouvel ennemi à abattre reste l’islamisme, et donc on ne sait pas quelle attitude la France va avoir ; on est tous dans un certain attentisme. On ne sait pas encore quelle est la vraie nature de ces mouvements islamistes modérés. Est-ce que l’alliage entre leur idéologie et les valeurs de la démocratie sont compatibles ? Il faut aussi que la France et l’Occident acceptent qu’il y aura des démocraties qui ne nous ressembleront pas. Il y a une imprégnation des valeurs islamiques dans les sociétés arabes qui va forcément donner une certaine coloration à la vie politique démocratique. Tout ça est en devenir, et malheureusement les intelligences du Nord qui connaissaient le Monde arabe, n’existent plus. Il y aura sans doute beaucoup d’errements, les élites françaises doivent apprendre à regarder de façon nuancée! Juppé pour l’instant de ce point de vue là ne se débrouille pas mal. Il vaut mieux le calme de Juppé que l’excitation d’un Sarkozy! Si l’on se réfère à la Lybie il n’y a pas eu une concertation minimale au sommet de l’Etat, ni vis-à-vis de l’Europe. C’était une affaire entre BHL et Sarkozy. En ce qui concerne la Tunisie, ceux qui en France ne font pas encore leur deuil de Ben Ali, ce sont quelques éditorialistes qui trouvent cela plus dur de travailler la bas. Plus grave serait qu’une partie du gouvernement français et diplomates attendent les élections en espérant la prise de pouvoir des islamistes pour « se dire au moins nous avions raison » ! » Si on avait gardé Ben Ali… »
Et les médias? Ce qui est étonnant, c’est qu’en France, très peu de travail est fait sur la vraie nature du mouvement Ennahdha ! Pourtant c’est la clé de la réussite ou pas de cette révolution. On ne sait rien sur leur structure, leur programme de financement, les strates de militantisme. Il y a beaucoup à faire ! J’ai fait un documentaire pour la chaine parlementaire et la première chaine tunisienne sur l’Islam et la Tunisie qui sortira début octobre. Je suis allée à Gasserine, Grombalia, Tunis et Monastir et j’ai interrogé des gens. J’ai constaté un phénomène d’islamisation de la société tunisienne indépendamment de l’islamisme et c’est profond ! Il est à espérer qu’elle restera démocratique.
Tunisie pays de seconde zone pour la France? Le fait que Sarkozy ait envoyé un de ces proches, montre quand même que le dossier est important. Boris Bouillon travaille, il voit beaucoup de monde, quand on compare les ambassadeurs précèdent qui ne faisaient rien…la Tunisie c’était une préretraite pour les Ambassadeurs français ! là Bouillon il bosse! Mais il a cristallisé tous les ressentiments des tunisiens contre ce qu’a été la diplomatie française toutes ces années !