Women Tribune d’Essaouira Ve édition : régionalisation et féminin au cœur des débats !
Un reportage de Fériel Berraies Guigny. Photos Diane Cazelles pour UFFP
Une 5e édition qui a tout pour plaire avec les thématiques chères aux femmes de la Méditerranée : parité égalité et régionalisation.Après avoir débattu des quotas, de la parité, de l’égalité et l’autodétermination, des effets du printemps arabe (cf. les éditions précédentes), voici venu le tour à la régionalisation au féminin, seule trajectoire possible pour la démocratie, à l’aube des élections communales au Maroc. Car il est important pour la femme marocaine, mais aussi la femme maghrébine issue des printemps arabes de savoir se positionner à temps, sous peine de rater encore une fois le coche et le rendez-vous avec son histoire. L’égalité entre l’homme et la femme a été consacrée par la Constitution de juillet 2011 au Maroc dans son article 19, mais dans les faits, il n’est en rien. La femme marocaine a une faible représentativité politique, est très peu présente dans la sphère publique et communale,et est considérée malgré elle, comme une citoyenne de seconde zone. Dans les zones rurales, elle est confinée dans l’espace privé.
Le printemps arabe qui amené les mouvements conservateurs au pouvoir et a quelque peu gelé les mentalités dans la région, n’a pas arrangé la situation pour les femmes maghrébines qui sont plus que jamais en état d’alerte. En Tunisie, les femmes se battent pour ne pas perdre leurs acquis, en Algérie elles subissent, en Libye et en Syrie, elles sont des otages de guerre, auMaroc elles se heurtent à une Constitution que l’on peine à mettre en application, en Egypte, il y a un risque de détérioration conséquente de leurs droits dans un pays livré à une junte militaire qui ne les priorise pas.

André Azoulay Conseiller de sa Majesté le Roi du Maroc, prend la parole et fait l’ouverture du WTE Mai 2014
Un rendez-vous politique important pour le Maroc avec sa deuxième meilleure moitié !
La 5ème édition de la Women’s Tribune a débattu durant deux jours sur la question de la régionalisation au féminin et la nécessaire décentralisation des pouvoirs au service de l’égalité et de la parité.
Pour Fethia Bennis, présidentede la WTE : « Il n’est pas question de faire du féminisme pur et dur dans cet espace de dialogue qu’est la WTE, leitmotiv qui revient à chaque édition, ni de se positionner en tant que victimes, mais plutôt d’ identifier les freins aux blocages sociétaux à l’égard des marocaines,pour mieux avancer » Il s’agit, précise-t-elle «d’obtenir d’un commun accord, une juste représentation de la femme, qui serait l’accompagnatrice del’homme en tant que partenaire égal » Le féminisme tel que Women’s Tribune l’entend, n’est rien d’autre qu’un humanisme qui milite pour assurer l’équilibre de la place entre les hommes et les femmes.
L’édition de cette année 2014 s’inscrit en préambule à l’échéance communale prévue en 2015 (…) alors que Sa Majesté le Roi Mohamed VI avait déclaré, lors d’un discours le 9 mars 2011, qu’ « il fallait renforcer la participation de la femme à la gestion des affaires régionales et, d’une manière générale, à l’exercice des droits politiques». La prise de conscience se fait donc au plus haut niveau et montre l’urgence de ces questions qui ne doivent plus être réduites à de la simple rhétorique. Car la démocratie participative équitable, telle que prévue dans les articles de l’ancienne Constitution, se fait toujours attendre.
Au menu de cette tribune WTE 2014, cinq tables rondes axées sur l’Organisation des pouvoirs, la régionalisation et la place des femmes et le retour d’expériences de ces dernières, tant pour les femmes du Maghreb qu’en Afrique subsaharienne ou dans le Nord de la Méditerranée. Divers panels ont également démontré le rôle crucial des ONG et des fondations et associations nationales et internationales, car ils contribuent grandement au développement régional. Experts, politiques, universitaires, militants associatifs étaient présents pour débattre de ces questions.
Mais ce que l’on retiendra surtout, c’est le constat actuel : la difficulté encore et toujours, de l’accès aux femmes aux postes de responsabilité au Maroc et dans la région. Car au niveau des mentalités et dans la pratique quotidienne les blocages subsistent et il y a encore un gros travail à faire, bien que les textes de loi soient là. Les femmes ont en effet, une faible présence, dès qu’il s’agit d’un poste public ou communal. Les grands discours et articles juridiques laissent réellement la place à un vide pratique.Pour autant une réelle réflexion, devrait amener à identifier ce que veulent au fond les femmes : être respectées simplement dans leurs« droits humains »!
Pour autant le Maroc a fait des progrès ; en 2007, il y avait seulement un trentaine de femmes au parlement, sur 395 sièges. Aujourd’hui, elles sont près de 70 et représentent 17% de l’assemblée. Nettement moins dans la chambre haute, où elles ne sont que 6 sur 270 (2,2%). C’est encore pire au niveau local, avec seulement 13 femmes présidentes de communes marocaines, sur 1491… soit un taux de représentativité égal à 0,79%.
Pour Leila Rhiwi, la représentante Onu Femmes du bureau multi-pays Maghreb. « Dès qu’on sort des villes, que ce soit Rabat, Tunis ou Alger, dès lors que vous vous aventurez dans le terroir, vous êtes dans une société où les femmes ne sont plus vraiment dans la cité, elles sont plutôt confinées dans l’espace privé. »

Changer les mentalités et l’image de la femme en politique au Maroc
Pour Ghizlane Mamouri, représentante du Parti du Progrès et du Socialisme «si les femmes ne sont pas élues, c’est simplement parce qu’on va plus voter pour un homme, que pour une femme. Pas parce qu’elle est moins compétente qu’un homme, mais parce qu’on pense qu’une femme n’a pas sa place en politique« .
Une Constitution que l’on n’applique pas sur le terrain
Une Constitution novatrice soutient pourtant Ouafa Hajji, la représentante d’unparti de gauche(modérée) marocain, l’Union socialiste des forces populaires (l’USFP) En 2011, la Constitution marocaine avait en effet engagé l’Etat « à combattre et à bannir toute discrimination à l’égard de quiconque en raison du sexe« . Dans son article 19, il est précisé que « L’Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes. Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination ». Pourtant le vide pratique est toujours là !
Quotas or not Quotas ? Une fatalité inéluctable !
L’année 2015 va connaître des élections locales au Maroc, mais aussi en Tunisie. Les deux pays, qui ont inscrit l’égalité des sexes dans leur Constitution espèrent bien faire mieux que leur concurrent Algérien. Le Maroc devra s’appuyer sur des initiatives de la société civile, comme l’organisation de la Women’s Tribune qui sera le garde-fou de ces décisions à venir pour respecter les objectifs qu’il s’est fixé en terme de parité : au moins 1/3 de femmes au parlement aux prochaines élections. Women’s Tribune aura au moins permis d’engager les partis politiques marocains dans ce processus en tout cas.
Les mesures d’affirmation temporaire sont nécessaires car elles révéleront le gap de leur présence ; et la présence des femmes est fondamentale dans la démocratie, c’est une question des droits humains. Les Etats sont obligés de rester constitutionnels en conformité avec leur législation même si les partis politiques ne veulent pas des femmes. On ne peut plus imaginer de contourner ce gap historique, et il n’y a plus lieu de parler de méritocratie pour les femmes.Il ya lieu de dire qu’à compétence égale aujourd’hui, il faut permettre aux femmes d’être là.

Il faut casser les cultures patriarcales qui continuent de hiérarchiser les rôles, il faut investir les espaces publics et contourner les vides des politiques publiques. Vie privée et vie professionnelle sont compatibles et les femmes peuvent concilier les deux. Le Maroc, laTunisie et l’Algérie sont signataires des articles relatifs aux quotas et donc c’est une preuve et une responsabilité démocratique qu’il faut assumer. Les femmes apporteront leur intelligence au regard de la construction de la Cité. Il faut cesser de reléguer la question des droits des femmes à une question sociale au lieu de la placer sur un planpolitique. Car la question des droits des femmes est une question éminemment politique. La pensée féministe est une des pensées les plus vivantes en Afrique du Nord qu’il convient de pérenniser car elle amènera le nécessaire renouveau.
Le rôle de la régionalisation et la place des femmes auMaghreb et en Afrique Subsaharienne
Aminata Traore Ancienne Ministre la Culture du Mali et Altermondialiste « … les promesses de développement n’ont pas été tenues » !
Les leviers et les outils pour faire en sorte de faire valoir l’engagement des femmes sont très importants et la centralité de la culture est cruciale. Toutefois, la démocratie, le genre le développement de la croissance qui sont des questions essentielles, avant de parler de culture, ne sont pas avérés pour autant. En Afrique subsaharienne et au Mali en particulier, la région reste dans la tourmente. Mais pour AminataTraoré les promesses de développement n’ont pas été tenues, simplement parce que le modèle de développement à l’occidental n’était pas compatible à l’Afrique. Et cela n’a rien à voir avec la corruption avérée des dirigeants africains, ou l’absence d’efforts, mais simplement parce que ce qui est la norme dans le Nord n’est pas assimilable à la bande sahélienne. De plus, les guerres en Afrique n’ont jamais été des guerres fomentées dans la recherche de la démocratie et des droits de l’homme, mais des guerres économiques destinées à sauvegarder les intérêts de certaines puissances dans la région. S’agissant du développement, les femmes peuvent-elles mieux faire que les hommes dans ce débat ? Certes oui, mais pour autant, les moyens ne sont pas à leur portée
La question cruciale est donc de savoir de quel type de développement l’Afrique a besoin ? Paradoxalement tout le monde regarde l’Afrique et se dit que la croissance est là que le futur est là. Mais entre le discours et la réalité, la marge est énorme : c’est le continent qui a le plus de pauvres et les flux migratoires sont de plus en plus importants et aujourd’hui l’Afrique subsaharienne a été embarquée dans un modèle de croissance qui ne fonctionne ni en Afrique, ni ailleurs «quand je regarde la France je vois mon pays le Mali » ! Qu’il s’agisse de l’immigration, de l’emploi, tous ces jeunes qui sont des laissés pour comptes.
Les objectifs du Millénaire s’agissant des femmes n’ont pas été atteints non plus et d’ici le rendez-vous de 2015, beaucoup reste à faire. Et pour Aminata Traore, on ne pourra jamais se projeter dans l’avenir si l’on ne songe pasà nos enfants « même quand on a coupé le cordon ombilical, nous tremblons quand ils frissonnent et veillons à ce qu’ils ne tombent jamais et dire qu’ils finissent quand même par tomber et mourir comme des chiens » !
Il faut vraiment se positionner pour donner à la question du genre la place qui revient à la femme et à la dignité humaine.
Leila Rhioui Représentante ONU Femmes « la participation positive des femmes, n’est pas une question abstraite mais une question de droits humains » !
La réalité des sociétés au Maghreb et en Afrique Subsaharienne s’agissant du rôle et du statut des femmes, montre qu’ily a un gap historique à combler. Il faut véritablement travailler à réduire les écarts,car c’est la question de la hiérarchisation des rôles qui se répercute négativement sur le statut des femmes. Il faut déconstruire cela, et l’ONU est très active en ce sens avec la Convention contre la discrimination sur les femmes. Cela semble abstrait, mais la participation positive des femmes, n’est pas une question abstraite mais une question de droits humains !
Il faut qu’elles s’émancipent, qu’elles aient les mêmes droits en tant que citoyennesà part entière.
L’ONU supporte les institutionnels, les Etats et les ONGS et la société civile en ce sens. Les programmes et les initiatives sont lancés pour aider et appuyer les outils nécessaires à la valorisation du genre. Une action, une mesure, une initiative de développement doit toujours se poser la question de l’impact sur les filles.
Au Centre, la Sénatrice de Paris, Bariza Khiari
Michèle Sabban Vice Présidente ile de France «le fait régional sera plus accessible aux femmes » !
Les femmes de la rue doivent entendre ce que disent les femmes d’influence car le fait régional est d’importance dans le discours national, explique Michèle Sabban « aujourd’hui, les régions sont de plus en plus fortes »car le travail des villes est crucial pour améliorer la vie quotidienne des concitoyens.
Le fait régional serait d’ailleurs plus accessible aux femmes selon Michèle Sabban car c’est un mode de pouvoir qui permet aux femmes de dire, de faire et d’être dans l’action. Pour accéder au pouvoir, la femme doit commencer par le niveau local «les femmes tunisiennes au lendemain de la révolution étaient très attentives aux élections municipales » et par conséquent, l’échelon régional est une autre étape importante pour les femmes quand elles veulent se faire entendre. Les femmes dans la régionalisation sont celles qui ont des idées novatrices et le 21e siècle sera porteur pour les femmes.
La question de la parité est un principe connu par les jeunes générations qui ont grandi avec naturellement dans une sorte de révolution tranquille.
Emma Bonino Ancienne MAE italienne, sur sa droite la journaliste tunisofrançaise Sophie Bessis
Wassila Tamzali écrivain et féministe algérienne « l’Algérie a trop eu ses yeux fixés sur l’horizon en oubliant de regarder la quotidienneté des choses chez elle » !
La question des femmes dans beaucoup de pays a été lancée par l’ONU vers les années 70 et cela a obligé les pays réticents à entreprendre des actions pour les femmes. Cependant il faut ensuite que les pays reprennent le flambeau. Mais sur le terrain et dans les pratiques les principes peuvent être défigurés et si l’on se réfère à l’Algérie, aujourd’hui il y aurait 146 femmes qui seraient députés et la réforme de la Constitution de 2008 a amené une hausse de 30 %. Donc même si apparemment on est sur la bonne voie, on voit bien que sans volonté politique, les mesures seront obsolètes.
Mais l’espoir est toujours là, car les jeunes de 20 à 30 ans sont réceptifs à ces idées de liberté et d’égalité que l’on menait vers les années 70 et même si cela a sauté deux générations « l’Algérie a trop eu ses yeux fixés sur l’horizon en oubliant de regarder la quotidienneté des choses chez elle » !
Faiza Kéfi ancienne Présidente de la Cour des Comptes, Tunisie
WassilaTamzali déplore la censure dans son pays, la manipulation, les freins dans la communication et la manipulation des technologies numériques « quand vous avez la manipulation de la consommation qui deviennent des obstacles à certaines idées sur la liberté et l’égalité » !
Il faut aujourd’hui, une reconnaissance solennelle de l’égalité entre les hommes et les femmes selon WassilaTamzali et la première violence contre une femme, restera toujours la violence de la loi qui ne reconnaît pas cette égalité solennelle, ce qui permet dans la rue à n’importe quel petit gamin de regarder une « femme de mon âge avec une certaine hauteur » ajoute WassilaTamzali. C’est la loi de la maison et c’est la loi de la Nation qui se reconnaît supérieure. Il faut une réforme mais il y a des étapes des sauts qualitatifs à faire dans une Société pour prendre le bon chemin. Les droits des femmes c’est les droits de l’homme et la première étape doit donc être la déclaration avant l’application.
Conclusion :
Aujourd’hui, on ne peut plus parler de développement sans tenir compte des questions suivantes relatives au genre, à l’environnement, au changement climatique. Ces thématiques s’imposent à nous et doivent alimenter lechangement de nos sociétés. Les Femmes doivent prendre le pouvoir car elles sont capables de s’adapter tout en mobilisant et en fédérant autour de ces questions. Les femmes sont à fond dans l’économie solidaire et parallèle elles ont du faire faire face au manque, elles ont recyclé, elles ont travaillé comme des hommes et à la place des hommes, quand ils désertaient certaines fonctions,elles ont survécu à des sociétés toujours discriminantes sous couvert idéologique ou pas.
Et par conséquent, tous les réseaux qui sont capables de porter les femmes dans la société, doivent être pris en compte et doivent être retenus. L’agriculturepar exemple : au Maroc, 70 % des exploitations sont gérées par les femmes. Les femmes sont des chefs d’exploitation par défaut car elles amènent la nourriture saine, l’éducation.Ces domaines sont tous portés par des femmes nourricières pour une terre nourricière.
au centre la grande militante marocaine Sabah Chraibi
Il faut se battre contre la pensée unique quand il s’agit du discours sur l’égalité entre les femmes et les hommes,comme l’a souligné la malienne Aminata Traore. Il faut que les femmes puissent réellement saisir la complexité du monde et que de ce fait, il faut arrêter « l’infantilisation des femmes »par les politiques. Il faut cesser les termes qui réduisent les femmes et il faut accepter de mettre à plat ces questions du genre avec les institutions internationales qui doivent avoir les mêmes exigences par rapport à ces thématiques que quand ils abordent des questions cruciales sur la sécurité des Nations !
Serena Romano de Corrente Rosa