Alvaro Restrepo et El Colegio del Cuerpo : « Un manifeste contre l’exclusion » !

  • By SLKNS
  • 23 mars 2012
  • 0
  • 198 Views


De notre envoyée spéciale à Cuba. Fériel Berraies Guigny

 


El Colegio del Cuerpo est né de l’engagement de deux artistes la française Marie France Delieuvin et le colombien Alvaro Restrepo. Une compagnie qui réunit des jeunes colombiens issus des quartiers défavorisés et principalement la communauté noire de Colombie. Palabrademar est un projet inédit qui nous offre une gestuelle qui assimile les formes dansées au profit d’une poésie de la vie de toute beauté.
Entretien avec les chorégraphes et le danseur principal de la compagnie:
Alvaro Restrepo et Marie France Delieuvin :
Deux chorégraphes venant de deux écoles et deux cultures différentes
Ce sont des questionnements similaires et préoccupations communes sur la danse, son développement et sa transmission qui ont permis de réunir le colombien Alvaro Restrepo et la française Marie France Delieuvin. Réaliser ensemble un projet d’abord en ce qui concerne la partie exclusivement artistique du projet : établir les axes d’une formation supérieure en danse contemporaine en Colombie et la mettre en œuvre, puis par la suite étudier les conséquences ou impacts du projet artistique sur les comportements pour lui donner un caractère humaniste en direction de la société, sans en faire un projet uniquement « social ».
La réalisation de cette tâche ne pouvait se faire sans un échange préalable de vues, d’idées, de projections – autant sur la formation en danse que sur l’art et sur le monde – sans la réflexion sur le pourquoi et le comment d’une présence « française » pour réaliser ce projet, avec la question fondamentale, essentielle : que pouvait être ou devait être la danse contemporaine colombienne, pour qu’elle soit l’ émanation d’un pays, d’un peuple, d’une culture, d’une vie et d’une actualité complètement différents de l’Europe ? Quels types de collaborations pouvaient conduire à la découverte de cette danse et non à la reproduction de modèles ou de stéréotypes déjà usés. La richesse et la diversité des musiques et des danses traditionnelles populaires en Colombie, encore présentes et vives dans tout le pays, ont été le point de départ obligé de la réflexion sur la modernité et la contemporanéité d’un art en devenir et non « nouveau ». La démarche alors a consisté à définir l’utilisation des connaissances, savoirs et méthodologies pour les mettre au service d’une expression autre, à naître.
Dans ce cas les différences deviennent les éléments de rapprochement et les sources de la création. Deux cultures n’en deviennent pas une seule, commune par l’addition : en maintenant leurs spécificités et leurs forces respectives, elles en génèrent une nouvelle, qui est par essence plus large et plus ouverte, sans rien perdre des premières.
Le projet de collaboration originel s’appelait El Puente, Le Pont et définissait en lui-même son sens, ses désirs et ses visions.
El Colegio del Cuerpo , une Ecole un outil pédagogique reconnu par la Banque Mondiale
Projet financé par la Banque Mondiale, Le CdC (El Colegio del Cuerpo) travaille actuellement selon deux axes différents : L’éducation POUR la Danse – formation de professionnels interprètes, créateurs, pédagogues – et l’éducation AVEC la danse, en relation aux autres arts, pour enrichir l’éducation générale et permettre aux enfants et aux jeunes de modifier leur quotidien, leur vie. C’est une éducation de la sensibilité et de la créativité. Il ne s’agit pas encore de « réinsertion » sinon du droit à une éducation de qualité qui propose à tous les jeunes des opportunités pour leur futur. Notre travail concerne toutes les classes sociales, il ne s’agit en aucun cas d’un projet pour les pauvres L’Ecole s’adresse donc également aux réfugiés de la violence intérieure, victimes du racisme, exclus du système basé sur la richesse économique : la pauvreté historique. Un travail basé sur un autre type de richesse, celle de l’être humain, unique et multiple. Nous travaillons depuis l’origine sur le concept de « vie » et non de « survie ». .
Depuis deux ans et demi le CdC réalise un projet qui a été présenté par la Banque Mondiale et est financé par le Gouvernement Japonais : Projet MA, mon Corps, ma Maison. Ce projet fait partie de l’éducation AVEC la danse et s’adresse à 1200 enfants des zones les plus défavorisées de la ville. Il réunit des artistes de la ville – Arts Plastiques, Musique, Théâtre, Cinéma, Photo – des éducateurs spécialisés, psychologues et médecins pour traiter de thèmes liés directement aux problèmes quotidiens de ces enfants : nutrition et hygiène corporelle, prévention des addictions (drogues, alcool), prévention des abus sexuels, violence familiale, droits de l’enfant, écologie du corps et du milieu de vie.
Chaque danseur de la Compagnie est responsable d’un centre et de 180 enfants, coordonne les activités et est professeur des pratiques corporelles.
En complément du Projet MA, mon Corps, ma Maison, deux projets identiques AVEC la danse fonctionnent grâce au soutien de deux fondations : la Fondation Santo Domingo dans l’île de Barú et la Fondation Pies Descalzos (Pieds nus) de l’artiste SHAKIRA à Barranquilla.
Palabrademar hommage au chantre de la négritude Aimé Césaire
Palabrademar est la pièce créée à partir de l’œuvre d’Aimé Césaire. C’est un itinéraire, un voyage dans une installation de photos réalisées par Álvaro Restrepo, (shombres, contraction de deux mots : « sombra », ombre et « hombre », homme). Réflexion sur l’identité – ou sa disparition – et sur la nature et l’environnement dans la Caraïbe colombienne. La force des textes, la diversité physique et expressive des danseurs intégrés aux images parlent de tous les thèmes de la Caraïbe et de l’afro-descendance de manière poétique. L’Art devient alors une « arme politique », plus claire que tous les discours. Le débat sur la race, la couleur de la peau, la filiation avec l’Afrique ou l’héritage « afro-descendant » est ouvert, à l’intérieur du Collège, de façon permanente : sans se limiter au concept de négritude ; la population colombienne est une tri-ethnie qui inclut les indigènes antérieurs à la colonisation espagnole et qui souffrent autant, voire plus, de la discrimination raciale que les afro-descendants. Le métissage « multicolore » de la ville est une richesse et un problème. Pour Alvaro Restrepo, le monde global d’aujourd’hui devrait orienter différemment ce débat et modifier les concepts d’appartenances et de limites. La définition rigide d’une identité culturelle ou ethnique peut parfois être un cadre limitant, lui-même excluant.

Premier contact avec l’Afrique : la Tunisie
Le Collège du Corps ne s’est jamais présenté en Afrique ni au Maghreb. Une pièce d’Álvaro, créée pour le CNDC d’Angers en 2002 a été invitée au Festival de Tunis cette même année mais pas avec les danseurs colombiens. Ceci est déjà loin et c’est un rêve des danseurs colombiens que de rencontrer l’Afrique et le Maghreb dans le futur.
« Notre découverte de Tunis a été très belle et forte de sensations : j’ai, pour ma part, compris et senti tout ce que j’avais pu lire ou voir concernant « l’Orient », sa magie, sa sensualité, ses saveurs, son raffinement … L’orientalisme ….. » se rappelle Alvaro Restrepo.
« De la danse tunisienne actuelle nous ne connaissons que ce que nous avons pu voir lors des Rencontres Chorégraphiques de Carthage créées et organisées par Syhem Belkhodja. Il semble que le centre d’activités qu’elle anime depuis plusieurs années sera le point de départ ou de convergence des mouvements de danse du continent africain » ajoutent les deux chorégraphes.
Focus sur Eduardo Martinez Lora danseur principal del Colegio Del Cuerpo
Eduard Martinez Lora a 24 ans. Danseur professionnel, formé au Collège du Corps depuis 1998 et faisant partie de la Compagnie de cette Institution. Originaire d’une famille de classe moyenne, il a vécu une enfance normale, juste gênée par une timidité qui limitait sa capacité d’établir des relations, particulièrement avec les adultes.
La Danse une révélation a douze ans
« J’ai commencé la danse lorsque j’avais 12 ans ; je n’avais jamais dansé avant et ne savais pas non plus que j’avais le talent pour le faire. Pire encore, je n’avais aucune idée de ce qu’était la Danse Contemporaine. Je l’ai découverte avec et à l’intérieur du Collège du Corps »
En 1997, en classe de sixième au Collège INEM, Institution avec laquelle le CdC avait établi une convention de partenariat, tous les élèves des différentes classes de sixième du Collège devaient participer de façon obligatoire aux classes de sensibilisation à la Danse Contemporaine données par le CdC. Pour présenter ce qu’était le travail auquel les élèves devaient être confrontés, ils avaient été réunis dans une salle de l’Institution appelée « le salon des actes », pour présenter  » l’évènement qui a fait que je découvre ce pourquoi j’étais venu dans ce monde  » explique Eduardo.
Lors les démonstrations de Danse Contemporaine, les contorsions incroyables, la virtuosité des tours et des sauts, les garçons qui manipulaient les filles avec une extrême facilité, les filles qui soulevaient les garçons sans problèmes, me faisaient frémir de plaisir et d’étonnement. Le seul fait de voir quelque chose que je n’avais jamais expérimenté, de découvrir un langage complètement différent dont je n’avais aucune idée de l’existence, a captivé mon attention.
Álvaro raconte toujours l’histoire du retour d’Eduardo dans le groupe car, dans le jeune élève dans son enquête, avais répondu : « Oui, je veux continuer avec le Collège du Corps, parce que la Danse Contemporaine a été inventée pour moi… ».
Un rêve devenu réalité
La danse à El Colegio del Cuerpo est un instrument de révolution et de contestation mais dans le but de former et de socialiser, ce n’est pas un acte de violence, rébellion ou opposition. L’art comporte indiscutablement une responsabilité sociale, pas seulement comme divertissement mais comme moyen d’échapper aux contrariétés ou contradictions de la vie, de ce que nous sommes, avons ou faisons. Instrument qui est contestataire parce qu’il permet de donner un point de vue sur un thème, quelque chose ou quelqu’un, qui ne conduit pas toujours à une réponse commune, qui génère la divergence, et renvoie des réponses.
Le CdC donne la possibilité de découvrir qui l’on est réellement, de créer sa personnalité. A devenir artiste. A être un maître. A être un créateur. A être une personne, un individu. A ÊTRE.
Role model pour les plus petits
Les « bonnes conditions corporelles » pour la danse, comme le talent, ne sont pas suffisantes sans la discipline que requiert la profession de danseur. La danse apparaît comme un moyen et non comme une finalité, elle intervient comme un outil pour relier l’art et la vie : dans ses valeurs, pour être plus humaine, plus sensible et sensibilisatrice. Une éducation qui permette à tous d’accéder, et permettre l’accession à d’autres, au monde dans lequel nous vivons, sans considérations sociales ou économiques, raciales, de couleurs, de genre, d’âge, de préférences sexuelles, entre autres.
« A grands traits, c’est ce que je souhaite transmettre aux élèves ; nous tous êtres humains sommes égaux, parce que nous sommes différents » ajoute Eduardo. Cette possibilité de se reconnaître dans l’autre et cette réalité de rencontrer et former notre propre personnalité à être unique, peuvent apporter à la formation d’individus forts, partie essentielle pour la construction d’une société meilleure.
L’Afrique ? une image lointaine
« Je n’ai pas encore eu l’opportunité de visiter l’Afrique, mais j’aimerais pouvoir y aller un jour et partager mon travail avec le public africain. Je considère que connaître la culture d’autres pays, et celle d’un continent tellement grand pourrait enrichir ma vision du monde et mon langage artistique ; ceci fait partie de ma recherche et de ma préoccupation professionnelle du fait que les connaissances et les expériences se convertissent en outils à utiliser au moment de créer et transmettre. Chacune a une valeur qui est soupesée au moment où nous comprenons ou nous percevons l’origine de nos réflexions ou nos idées » souligne t-il
Eduardo reconnait la force de l’histoire culturelle africaine avec l’Amérique, le dialogue entre les cultures différentes aide à transcender et évaluer les processus, et le chemin que la Danse Contemporaine en Afrique peut être une référence pour la danse en Amérique Latine, en Colombie, pour qu’elles poursuivent la recherche d’une identité propre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *