Par Fériel Berraies Guigny
Le désert fait fantasmer le plus commun d’entre nous. Lieu mythique, lieu de refuge et de recueillement, il reste encore aujourd’hui, un espace aux frontières difficilement apprivoisables. Pour les plus avertis, il est un paradis absolu, ouvert aux mille découvertes. Philippe Frey, ethnologue de renom, grand spécialiste du désert, a écrit l’histoire d’une passion de toute une vie. Le Roman du désert, paru aux (éditions du Rocher, 2008) raconte le désert des figures mythiques de Mahomet à Jésus, de Saint-Exupéry à Laurence d’Arabie. Il met aussi en lumière, l’immensité d’un espace qui reste encore aujourd’hui, un no man’s land mystérieux et où l’homme face aux éléments, est bien peu de choses.
Entretien avec Philippe Frey :
Dans ce dernier livre vous partez sur les traces de certains personnages légendaires et mythiques? Quelle sensation cela fait-il tant d’années après? Le mythe est-il fidèle à la réalité? J’ai voulu en fait écrire un roman sur le désert. Je me suis inspiré pour se faire, de certains personnages flamboyants qui ont marqué et qui ont été marqués par le désert. Ces personnages sont devenus mythiques mais on n’a jamais dit ce qu’ils avaient vécu exactement dans le désert. Avec ce roman, je voulais en fait démontrer que chacun de mes personnages pouvait évoluer dans un sens ou un autre, car dans le désert tout le monde a chaud et tout le monde craint le froid à la nuit tombée. Il était justement intéressant, d’imaginer la différence des comportements de chacun de mes protagonistes face aux éléments naturels.
Quel est le lien qui unit ces hommes? Tous ces personnages auraient pu se rencontrer, ils ont même foulé les mêmes dunes. Ils auraient pu boire l’eau du même puits. Simplement, ils n’ont pas vécu la même époque. Seul le désert n’a pas changé, son visage est toujours le même entre le moment où Jésus foule les bords de la mer morte et l’arrivée de Laurence D’Arabie, deux mille ans plus tard. Tout s’est passé exactement au même endroit et on aurait pu imaginer la rencontre entre un juif du nom de « Yéshua » qui se trouve face à un blond aux yeux bleus qu’il aurait pris pour un romain. C’est étonnant de voir comme le désert trouble l’espace temps.
Le désert est un terrain pourtant hostile à l’homme, le paradoxe c’est qu’il est aussi un refuge? Les populations les plus vieilles du Monde, sont souvent les populations du désert. Les aborigènes d’Australie, c’est à dire les Bushman sont une des populations les plus vieilles du Monde. Le désert n’est pas pour le commun des mortels, quiconque en 48 heures pourrait perdre la vie, s’il n’est pas préparé. Pourtant malgré l’âpreté de la vie dans le désert, beaucoup de mythes religieux s’y sont abreuvés. Car le désert, paradoxalement, protège aussi des aléas de la vie moderne et des agressions de l’homme. Il y a une véritable communion de l’esprit et du corps pour l’homme du moment qu’on a appris à amadouer « les éléments »
Vous êtes ethnologue, quels déserts avez vous parcourus? Lequel vous a le plus marqué? l’expérience la plus merveilleuse et terrifiante? J’ai parcouru en fait, presque tous les grands déserts du Monde de chaque Continent, qui font un total de 40 000 kms à pied et seul. Oui il y a eu des moments difficiles durant mes traversées, comme par exemple quand mes deux chameaux sont morts, mais je me suis aussi retrouvé dans des guerres tribales, en pleine guerre du Tchad notamment et cela a été très difficile, car les puits étaient minés. Au fond le plus difficile ce n’est pas le désert mais parfois certaines tribus. Ceci dit, la plupart du temps, les nomades sont accueillants avec l’étranger, il suffit de rester modeste et de ne pas « les prendre de haut ». Quand il vous voit à dos d’un chemeau, cela les fait sourire, Ils se moquent un petit peu de vous, mais cela reste bon enfant. Bien sûr, si vous débarquez d’une jeep dernier modèle avec une trop grande assurance, le rapport peut être sensiblement différent. Mon souvenir le plus merveilleux, c’est probablement dans le désert d’Iran où j’ai vu un magnifique arc en ciel autour du soleil et tout juste après en continuant mon chemin, je me suis retrouvé sur le haut de montagnes et on y voyait à leur pied, des neiges éternelles.
Avez vous conscience que votre métier est à risques? qu’est ce qui motive ce défi ? Comment vous sentez-vous face à tant d’immensité? Ce qui me fascine toujours autant, c’est de découvrir des lieux que l’on ne connaît pas. Des espaces en dehors du temps. Si l’on regarde tous les déserts du Monde, cela fait à peu près 1/5eme de la planète, mais on continue à se fier uniquement aux clichés du genre le Touareg sous son chameau, on se réfère aussi aux déserts touristiques, mais plus on avance dans les déserts éloignés plus cela devient un domaine inconnu. Dans le désert Mongol par exemple, j’ai découvert un monastère bouddhiste qui avait échappé aux guerres et à la révolution. C’était vraiment incroyable de découvrir cela.
Parlez-nous des peuplades du désert, faut-il observer des codes des conduites, des règles, des coutumes pour pouvoir s’intégrer à eux? Je pense que la qualité qu’ils apprécient le plus chez l’homme blanc, c’est la modestie. A part ça, on ne peut pas dire qu’ils interfèrent, au fond cela reste un peuple très indépendant. Chacun vit sa vie. Mais il est vrai aussi, qu’entre eux il y a des règles, des coutumes à respecter. Ceci fait qu’ils peuvent se montrer assez rigides entre eux. Mais avec l’étranger c’est autre chose, cela reste un peuple très tolérant. On vous traite d’égal à égal. Me concernant, j’ai eu la chance d’être très vite adopté, comme je m’occupe des chameaux aussi bien qu’eux. Il faut préciser aussi que les « Touaregs » ne constituent qu’une infime partie des nomades du Sahara. La plupart des gens pensent que Touareg égal nomade du Sahara. Or ce n’est pas le cas. Nous avons à peu prés, un million de Touaregs, un million de Maures au Mali et en Mauritanie et un peu dans le Sahara Occidental. Il y a aussi les Toubou du Tchad et la diaspora arabe soudanaise soit presque 700000 personnes et en plus, il y a les nomades à l’Est du Nil qu’on appelle les Bedja. Ces derniers sont presque semblables aux Erythréens. Cela fait donc beaucoup de monde. Il faut casser ces clichés sur le nomade qui est uniquement Touareg. Rien que dans le Sud marocain ou tunisien il y a aussi les « Rebayas » cela vient de « Rebar » qui veut dire herbe. Cette herbe qui pousse de temps en temps, selon les pluies. Ce sont les nomades des sables que l’on trouve soit en Tunisie ou en Libye, et ils sont environs 50 à 100 000 personnes. On ne les voit jamais, ils sont cachés derrières les dunes du grand désert oriental et ils ne sortent pratiquement jamais. Il y en a qui n’ont jamais vu d’homme blanc. Ils ont un rassemblement vers la fin août début septembre et c’est là qu’ils se rencontrent entre eux et se marient.
Vous êtes natif du Nord pourtant le Sud vous attire? Oui je suis né dans le Nord, entre 5 et 15 ans j’allais tout le temps dans les Vosges, donc les grandes étendues de neige et le froid, cela me connaît. Les – 15 à – 20 aussi, je regardais les daims et les chevreuils, j’étais en contact avec la nature, très tôt. Mais comme je vous l’ai dit, on est toujours attiré par les extrêmes et aujourd’hui, il ne me reste plus rien du « Nord » ( sourires) A 16 ans, j’ai décidé qu’il fallait tout changer ! au début c’était la mer, et ensuite j’ai commencé à découvrir une « mer de sables »
Quel est votre regard vis à vis de l’homme blanc et de la civilisation occidentale ? Mais je n’ai plus rien de blanc ! Ma femme est issue des tribus nomades peuhl je n’ai pas de regard occidental car je me sens profondément homme du désert.
Les déserts du Maghreb vous en pensez quoi ? le désert tunisien est tout petit et paradoxalement, c’est le plus difficile car son climat humide attire toutes sortes d’animaux et d’insectes. Il y a pas mal de vipères, donc c’est assez désagréable. Dans ce désert il n’y aucune zone d’ombre, pas de pierres ou de roches pour s’abriter et le soir, il fait très froid et on peut facilement geler. Cela reste, un désert difficile à parcourir bien que très fréquenté touristiquement.
De Damas à Tamanrasset, des pyramides du Caire en passant par Médine ou Persépolis, les chemins se confondent-ils parfois? Oui il y a des fois où on ne sait plus où on est et ce qu’on a fait, on peut se demander « où on a dormi la veille » On perd la notion de l’espace à force de marcher devant l’immensité. Cela peut durer des semaines et c’est très déstabilisant. On se sent tout petit.
Les mirages, les hallucinations comment y faire face? Il faut en effet réapprendre à bien discerner visuellement les objets, on perd aussi la notion de distance, on voit un caillou devant soi mais on ne sait pas si c’est à 2 ou 20 mètres. On ne sait pas si les montagnes devant nous sont à deux jours de marche ou pas.
On vous compare à un Cousteau, en disant que vous faites partie des rares scientifiques capables de vulgariser le désert, qu’en pensez-vous? le désert est il encore mystérieux pour vous? Je n’ai pas la prétention de me comparer à lui, ceci dit, je m’efforce de comprendre et d’expliquer au mieux ce qu’est le désert. Le désert est toujours mystérieux même en le parcourant en long et en large, ce n’est jamais assez pour l’appréhender, le comprendre, le dominer. Il y a toute une variété dans cet espace, une multitude de lieux, de biotop différents, de cultures différentes d’un désert à l’autre.
Vos recherches vous prennent 5 à 6 mois dans l’année, le retour à la vie normale est-ce une transition facile ? Il est beaucoup plus facile de partir que de revenir. Cela fait plus de 35 ans que je le fais et j’ai eu le temps de m’habituer.
Quelle est la leçon à retenir? Pour vous l’avancée du désert c’est une tragédie ou une bénédiction? Il n’y a pas d’avancée naturelle du désert, cela est du à la main de l’homme, à force de déboiser, c’est inévitable. C’est l’homme qui coupe les arbres pour faire du bois, et c’est ce qui se passe en particulier dans le Sahel. Si on mettait un « grillage » autour de certaines zones, au bout de deux ans, vous auriez une savane !
Les déserts ont un rôle très important et il faut se le dire, car ils régulent le climat de la planète, étant des pôles de chaleurs importants.
Vous êtes président de « l’Association Nomades du Monde »? On veut mieux faire connaître les nomades et le désert. Nous voulons faire découvrir par tous les moyens par le biais de livres, de l’audiovisuel, de voyages, le désert et ses populations et leurs cultures. On organise des voyages là où personne ne va : en Nubie, au Soudan, au Tchad dans le sud Algérien.
Fiche Technique
Le Roman du désert
Philippe Frey
Editions du Rocher. Collection « le roman des destins et lieux magiques » dirigée par Vladimir Fedorovski
Mis en vente le 25 août 2008
Bio Expresse de Philippe Frey :
Docteur en ethnologie, Philippe Frey est spécialiste des déserts et des nomades. Il a traversé seul les plus grands déserts. Il est l’auteur de nombreux livres, dont 50° déserts brûlants qui a reçu le prix Jean Sainteny 2007 de l’Institut de France. Il est également, Président de l’Association « Nomades du Monde ».